Richard Caumartin
Du 7 au 17 septembre, le Festival international du film de Toronto (TIFF) se déroule dans la Ville reine et dans lequel sera présenté, en première mondiale, le touchant court métrage d’animation Aphasie, de la cinéaste Marielle Dalpé. Mme Dalpé est la fille du très réputé auteur, comédien, poète, scénariste franco-ontarien Jean-Marc Dalpé.
Il s’agit du premier film professionnel de la jeune cinéaste qui sera présenté au TIFF le 15 septembre, et également au prestigieux Festival international d’animation d’Ottawa les 21 et 22 septembre. La comédienne québécoise Andrée Lachapelle, décédée en novembre 2019, a prêté sa voix à la version originale française.
« Aphasie est une expérience sensorielle bouleversante qui plonge le spectateur dans l’univers des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer et confrontées à la perte du langage. À la fois percutant et troublant, Aphasie est une bouleversante incursion au cœur d’un trouble neurocognitif dévastateur qui, progressivement, réduit à néant la capacité à utiliser et comprendre les mots et dont souffrent nombre de personnes atteintes d’Alzheimer. Porté par un lyrisme violent, Aphasie nous entraîne dans une expérience sensorielle déroutante. Les repères visuels et sonores se déploient et se superposent. Les images s’entrechoquent, la voix de la narratrice, Andrée Lachapelle, se décompose en échos et des effets de glitch d’une saisissante brutalité font voler en éclats la ligne épurée de l’image », décrit le synopsis de l’Office national du film (ONF).
Dans ce premier court métrage d’animation, Marielle Dalpé ne se contente pas d’évoquer l’univers du dysfonctionnement langagier, elle y plonge sans ménagement. Les cinéphiles se retrouveront à la place de ceux qui, à chaque instant, « luttent contre le temps et les limites du cerveau alors que tout leur échappe ».
En entrevue avec Le Métropolitain, la cinéaste a confié ses états d’âme, sa motivation à traiter d’un sujet aussi difficile. « Ma grand-mère maternelle est décédée de la maladie d’Alzheimer et pour vivre mon deuil, j’ai décidé de fouiller un peu plus sur l’aphasie. Quand j’ai lu plein de trucs sur le sujet, je me suis vite rendu compte que c’était bien ce que nous avions vécu avec ma grand-mère que j’adorais, et j’ai eu envie d’en parler. La majorité des courts métrages d’animation que j’ai vus sur l’Alzheimer montrent la maladie avec douceur, une certaine beauté pour amener l’auditoire à accepter ce qui se passe. Mais la maladie d’Alzheimer, c’est violent, autant pour les personnes qui en souffrent que pour leurs aidants naturels, démunis face à la situation. J’avais envie de contribuer à la conversation qui existait déjà sur la maladie d’Alzheimer en l’abordant sous un autre angle, celui de l’aphasie. Mais également de montrer cette violence et de déranger le public », explique Mme Dalpé.
Elle voulait que son film soit immersif, une expérience nouvelle pour le public. « Plutôt que de raconter une histoire et d’être sentimentale, je tenais à faire ressentir ce qui se passe dans la tête d’une personne atteinte d’aphasie associée à la maladie d’Alzheimer. J’ai donc eu recours au glitch, c’est-à-dire une imperfection contrôlée, une combinaison de textures ou de motifs qui, bien qu’elle semble désordonnée, est le fruit d’une manipulation technique. Cela m’a entraînée davantage vers une approche non narrative et m’a permis d’accentuer le côté dérangeant du film. »
Andrée Lachapelle
Au début, après avoir écrit une première version du texte, Marielle Dalpé cherchait une voix âgée pour faire la narration. « Une amie d’enfance m’a proposé d’en parler à sa grand-mère, Andrée Lachapelle. Je la connaissais, mais je ne l’avais pas vue depuis des années. Nous sommes allées chez elle au printemps de 2019. C’était un moment précieux pour moi. Je ne voulais pas utiliser de musique ou de bruitage. Tous les sons du film proviennent de la voix d’Andrée Lachapelle dans la version française. »
Étant la fille de Jean-Marc Dalpé, Le Métropolitain lui a demandé quelles étaient les influences de son père sur sa carrière et sa façon de travailler. « J’ai toujours eu une relation très proche avec mon père. Contrairement à lui et son écriture, moi j’ai toujours dessiné et la vie d’artiste tournait autour de moi étant enfant. Il y a une raison pourquoi mon film parle d’aphasie et de langage, c’était en moi et ça vient de l’écrivain qu’est mon père et la traductrice qu’est ma mère », assure-t-elle avec un brin d’humour.
Elle vient de terminer un court métrage assez spécial qu’elle a tourné dans un train avec son ordinateur sur le trajet entre Toronto et Vancouver. « J’ai décidé de faire un film sur le train, une culture d’images, et de capter l’impression que ce voyage-là me donnait. Je rentre en post-production prochainement et ce film devrait faire la tournée des festivals en 2024. Un autre projet sur lequel j’aimerais me concentrer est celui d’un roman graphique », conclut-elle.
Photo (ONF) : Marielle Dalpé (crédit : Sandra Larochelle)