Jean-François Gérard

La Société d’histoire de Toronto a conclu son année par une conférence sur les lieux de spectacles de la Ville reine. Sur l’estrade de l’Alliance française, Hadrien Volle, journaliste culturel à la matinale Y’a pas deux matins pareils à l’antenne de Radio-Canada et auteur d’une thèse sur les salles de spectacles en France est chargé de transmettre sa passion.

Lorsque Toronto émerge au début du XVIIIe siècle, les salles de spectacles en Europe sont pour le public « l’assurance de rencontrer des gens de sa société, sans s’occuper des invitations », décrit le conférencier. Il en est autrement sur les bords du lac Ontario. Au début, la culture est surtout « une occupation pour ne pas sombrer dans l’alcool », poursuit-il.

Le premier lieu de spectacles, forcément vivant à l’époque, connu à Toronto est le Frank’s Hotel. Fondé en 1829, il se situerait – s’il existait encore – face au marché Saint-Laurent. La modeste auberge familiale sur deux étages accueille des troupes amateures et des comédies y sont jouées. Le Canada étant à l’époque encore une colonie britannique, les salles suivantes sont de petits bâtiments de style victorien. Les théâtres adoptent une structure anglaise et sont éclairés aux chandelles.

Le « premier boom » arrive dans les années 1870 avec le développement du rail. C’est le début des tournées et de la publicité avec des mentions de spectacles « vu à New York », « vu à Philadelphie » ou même « vu à Londres », ce qui n’a finalement pas tant changé », raconte Hadrien Volle.

Beaucoup de grands théâtres sont construits notamment rue Yonge. C’est le cas du Winter Garden Theatre qui surplombe le théâtre Elgin, sept étages plus bas, les deux lieux étant toujours en activité. « Une culture durable s’installe 50 ans après la création de la métropole », décrit le journaliste. Par la suite, les propriétaires résistent à la tendance qui voit d’autres endroits similaires convertis en cinéma parlant au fil des années.

À quelques encablures, le Massey Hall, construit en briques en 1894, est la plus ancienne salle de spectacle en activité. Le lieu multifonctions, connu pour ses concerts, a aussi accueilli des matchs de boxe.

Autre témoin de l’influence des époques, l’architecture modeste du Royal Alexandra, rue King. Construit en 1906, son hall est minuscule, car il n’y avait plus d’intérêt à disposer d’espaces où vendre de l’alcool en raison de la prohibition. Le puritanisme bat son plein et les vaudevilles sont progressivement considérés comme vulgaires. La pièce Sailor Beware est interdite « car un couple s’embrassait sur scène ».

Dans l’après-guerre, Toronto devient alors un centre financier. « On passe d’emplois du secteur primaire à des emplois secondaires ou tertiaires, avec plus de gens avec des revenus et disponibles le soir, moins fatigués par une journée éreintante de travail », note Hadrien Volle.

Le théâtre se scinde en trois groupes – les tournées commerciales, le théâtre dit « sérieux » (legit) et le théâtre alternatif – pour lesquels il est difficile pour les artistes de vivre de leur art. Certaines compagnies profitent du déménagement des industries hors de la ville et de la désindustrialisation pour récupérer d’anciennes usines et s’y installer, comme le Théâtre Passe Muraille.

Les nouveaux lieux, eux, se distinguent par une architecture dite « brutaliste » en raison du béton brut et de l’esthétique tranchante. C’est le cas du Meridian Hall ou, juste en face, du St. Lawrence Centre. Le Royal Thompson Hall, rue King, et toujours mal agencé avec la petite place publique qui l’entoure, est l’un des derniers témoins de cette période.

Le lieu de spectacles le plus récent est le Four Seasons Centre for the Performing Arts, inauguré en 2006 qui accueille l’opéra et le ballet. Une salle exceptionnelle « la première à destination de l’opéra » et parfaitement isolée du métro qui passe en dessous. Avec ses halls entièrement vitrés, les passants sur University Avenue peuvent apercevoir les spectateurs. Un clin d’œil au début de la conférence où le théâtre européen était alors décrit comme un lieu de rencontre et où il fallait être vu.

D’autres structures bien plus modestes ont obtenu leur salle récemment, mais en location. Depuis 1980, aucune compagnie n’a pu devenir propriétaire de son lieu. Une situation qui fait penser à Hadrien Volle que la compagnie du Théâtre français de Toronto, pourtant parmi les pionnières dès 1967, aura encore beaucoup d’obstacles à surmonter pour acquérir sa propre salle.

Photo : Hadrien Volle a transmis sa passion de l’historique des lieux de spectacles de la Ville reine.