Le thème de l’édition Feuilles vives (FV) 2020 était fragile humanité, un thème drôlement approprié pour la crise sanitaire qui était à suivre autour du monde. En choisissant ce thème l’année dernière, le directeur artistique de FV, Antoine Côté Legault, voulait que les artistes explorent ces fragilités afin de les assumer et de les exposer.
« Au contraire du discours populaire, partager ses fragilités et faiblesses requiert une sorte de noblesse et ce fait même de les dévoiler les transforment en forces » révèle-t-il.
Le programme Feuilles Vives offre un appui dramaturgique et artistique à une sélection d’artistes ontariens chaque année. C’est un lieu d’incubation où classes de maître et plusieurs autres ressources sont à la disposition de l’artiste qui travaille son projet de création. Avec cette édition loufoque où l’art de la scène a été travaillé entièrement en ligne, M. Côté Legault a remis en question le succès du programme avec les sept artistes participants.
Le projet d’Élaine Juteau explore le poids émotionnel et sociétal d’une commotion cérébrale. Elle voulait présenter un texte inachevé par crainte qu’il soit déjà trop structuré. « J’avais peur qu’il n’y ait pas de place pour l’imprévu et en fait Feuilles vives m’a permis de solidifier la structure pour ensuite pouvoir jouer et la briser » dévoile-t-elle.
Quant à Marc-André Charrette, il a trouvé utile d’entendre comment les gens vivent son texte. « Ce que j’écris est peut-être clair dans ma tête, mais comment les gens perçoivent-il vraiment les personnages et le langage? », se questionne-t-il. M. Charrette affirme avoir été à la recherche des réactions du public; constructives, oui, mais positives aussi, car cela pouvait autant pointer vers un écart de ce qu’il désirait exprimer.
Pour sa part, Karine Ricard, Montréalaise d’origine installée à Toronto depuis plusieurs années, a apprécié avoir la perspective d’un coach. Un œil extérieur, autant celui d’un coach que celui des comédiens, a éclairé certaines choses qui passaient inaperçues. Elle souligne que ce confinement l’a forcée à créer une discipline. Continuer à créer durant un creux, surtout un creux chargé d’émotions et difficile comme celui d’une pandémie.
La Sudburoise Chloé Thériault avoue qu’elle était un peu déçue du format en ligne. Malgré ce contretemps, présenter son texte sous forme de balado lui a permis de rejoindre une plus grande audience, car il était accessible partout en Ontario. Et elle ajoute : « Ce balado a infusé mon parcours d’un questionnement sur l’auditif, pas juste le visuel. La mise en bouche de mes mots a été très éducative. »
Quant à l’auteur Michel Ouellette, il mentionne que travailler avec des comédiens a débloqué son écriture. Similaire à Chloé Thériault, à l’écoute de ces mots, il a travaillé la musicalité du texte.
Pour Vincent Leblanc Beaudoin, cet exercice représentait un beau défi, car normalement, mettre en ligne du théâtre immersif requiert la participation de l’assistance. « J’ai approché mon spectacle avec un autre médium, l’imagerie du cinématographique et non le théâtral. J’ai exploré le sensoriel autrement qu’avec les mots », dit-il.
Chloé Tremblay, qui travaille aussi un texte sans paroles, ajoute que Feuilles vives lui a donné du temps pour faire de la recherche – fouiller et explorer sans se stresser à rendre un produit final.
Il est clair que cette pandémie est un élément révélateur de la fragilité humaine. Pour ces artistes de l’Ontario français, il s’agit d’un morceau du casse-tête au développement de leur projet. La discussion les amène à partager la façon dont la COVID-19 change leur relation face à l’art et la création.
Mme Juteau commente le fait que le spectateur est saturé. Il est sans cesse sollicité de partout pour des évènements virtuels. Elle ne désire pas forcer les choses et elle approche les échanges avec douceur et un autre éclairage.
« Je pense beaucoup plus à la manière dont mon texte influence le spectateur. On en prend déjà beaucoup avec cette pandémie. Il faut être attentif à cette fragilité, mais sans nécessairement se censurer », explique-t-elle.
Michel Ouellette rassure que sa démarche personnelle n’a pas été lourdement affectée : « Quand on écrit depuis longtemps, nos manières individuelles demeurent, et ce, même quand le monde autour de nous change nos mots ». Il y trouve une nouvelle façon, plus franche, d’appréhender le monde.
Pour sa part, Vincent Leblanc Beaudoin est certain que le shift culturel créé par la COVID-19 sera la grosse vague qui fera avancer le monde théâtral et artistique.
Le directeur artistique Antoine Côté Legault présente l’idée que le monde avant la crise était déjà fragile, que la société canadienne vivait déjà une épidémie de solitude, entre autres. « Nous étions simplement aveugles à cette fragilité, d’où est venu le thème de cette édition de Feuilles vives », conclut-il.
SOURCE – Élodie Dorsel
PHOTO (crédit: compte Youtube de la Fondation pour l’avancement du théâtre francophone au Canada) – Antoine Côté Legault