Le Métropolitain

La troupe des Anciens de l’Université de Toronto présente Le Malade imaginaire

« Primo saignare, deinde purgare, postea clysterium donare (D’abord saigner, ensuite purger, postérieurement seringuer) », répond bêtement Argan tout au long de son épreuve finale avant de recevoir son diplôme de médecine et de pouvoir se vêtir de l’habit et du chapeau noirs que portaient les docteurs de l’époque. Molière ne cesse de la sorte de se moquer des médecins du XVIIe siècle dans Le Malade imaginaire.

Quand on demande à Peter Carayiannis pourquoi il revient tous les ans pour jouer Molière, sa réponse sort de façon brève et sans équivoque : « C’est Madame! ». Peter Carayiannis désigne ainsi Paulette Collet, ancienne enseignante de français à l’Université de Toronto qui, depuis 43 ans, met en scène chaque année une pièce du répertoire classique français. Aujourd’hui à la retraite, Mme Collet démontre toujours la même passion pour le théâtre qu’aux premiers jours de sa carrière.

« J’adore le théâtre. Peut-être aurais-je dû devenir actrice. Finalement, je suis devenue enseignante, car c’est un peu la même chose! », avoue Paulette Collet en ce jour de répétition générale. Elle explique qu’elle trouvait alors que ses élèves faisaient beaucoup plus de progrès en français en jouant dans une pièce de théâtre qu’en salle de classe.

Originaire de France, Mme Collet passa quelque temps à Londres et sur l’île Maurice avant de venir poser ses valises dans la Ville reine en 1967. Elle enseigna le français au St. Michael’s College de l’Université de Toronto. C’est bien là que les destinées de Peter Carayiannis et de Mme Collet se croisèrent en 1989, dans un cours de théâtre sur Molière.

« Je crois bien que je t’ai donné un B, ou peut-être même un B+ », lui fait remarquer Mme Collet avec un petit sourire au coin de la bouche. Depuis, Peter Carayiannis a cheminé dans la vie en suivant des études de sciences politiques, de français et de droit. Établi aujourd’hui comme avocat, il n’hésite pas un seul instant avant de prendre une pause dans sa journée bien remplie pour venir répéter sous la direction de son ancien professeur. « Bon nombre de mes anciens élèves et membres de la troupe sont des avocats. Il y a peut-être là aussi un petit quelque chose », ne manque-t-elle pas de souligner.

Cette année encore, Mme Collet a fait appel à quelques-uns de ses anciens étudiants pour présenter Le Malade imaginaire. D’autres, tous acteurs amateurs, sont venus se greffer au groupe. Elle avoue toutefois que le renouvellement de la troupe pose parfois un réel défi. Cependant, le bouche à oreille, la qualité des représentations et la réputation de Mme Collet font que chaque année au mois d’avril le rideau s’ouvre et le spectacle peut alors commencer. C’est donc neuf acteurs qui ont offert cette année quatre représentations en matinée pour les écoles de Toronto et deux soirées pour le grand public. Des surtitres en anglais s’affichent au-dessus de la scène pour les francophiles qui ont des difficultés à saisir les nuances du français du XVIIe siècle.

Argan, magnifiquement joué par Daniel Bourque, n’en finit pas de se lamenter sur son sort et se plaint de multiples maux, tous plus « imaginaires » que réels. Personne dans son entourage ne croit en ses maladies, pas plus sa servante Toinette (Elizabeth Bucci) ni sa seconde femme Béline (Geneviève Proulx), et encore moins son frère Béralde (Glenn K.L. Chu). Il prend un malin plaisir à subir les « purges postérieures » prescrites par son médecin M. Purgon (Peter Carayiannis) et administrées par l’apothicaire M. Fleurant (Jim Esto). Il va même jusqu’à pousser la comédie en choisissant un sot médecin Thomas Diafoirus (Régine Guyomard) comme piètre parti pour sa fille Angélique (Marie Richer), alors que celle-ci n’a d’yeux que pour le beau Cléante (Michel Ross). Sa femme espère le voir mourir afin d’hériter son argent et le trompe avec le notaire M. de Bonnefoy (Serge Paul). Il ne peut vraiment compter que sur sa plus jeune fille Louison (Krystal Bentivoglio) pour le tenir au courant de ce qui se passe réellement dans sa maison. M. Diafoirus (Éli Morad) pensait pourtant bien être parvenu à placer son benêt de fils dans une belle situation. Cependant, son frère Béralde et Toinette sauront échafauder un plan pour que la belle Angélique puisse épouser Cléante. Quant à Argan, il pourra finalement se vouer à ses maladies en devenant… médecin! De temps à autre, on remarqua un jeune danseur (Sully Malaeb Proulx) intervenir pour changer les accessoires.

La dernière scène, où l’on assiste à la cérémonie d’intronisation d’Argan dans le corps médical, fit rire aux éclats le nombreux public. Chacun peut alors prendre la pleine mesure de la fameuse remarque d’Argan : « C’est un bon impertinent que votre Molière avec ses comédies, et je le trouve bien plaisant d’aller jouer d’honnêtes gens comme les médecins », ce à quoi Béralde lui rétorque : « Ce ne sont point les médecins qu’il joue, mais le ridicule de la médecine ». Rien de tel que Molière pour faire passer une bonne soirée au théâtre, qui plus est quand il porté sur scène par Mme Collet et sa troupe.

Photo : Le notaire (Serge Paul) et Béline (Geneviève Proulx)

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