Le mardi 22 janvier, le studio Glenn Gould accueillait la pianiste Christina Petrowska Quilico qui présentait Visions :
Rhapsodies & Fantasias, une interprétation des oeuvres du jeune compositeur Constantine Caravassilis. Ce dernier possède la particularité d’être synesthésique, c’est-à-dire qu’il voit des couleurs et des mouvements lorsqu’il entend de la musique. Christina Petrowska Quilico, qui fut un des professeurs de Caravassilis, s’est également essayée à la discipline et ce n’est pas moins de 102 tableaux que la pianiste a réalisés en écoutant l’oeuvre dont elle présentait des extraits ce soir-là.
« J’ai peint ses toiles en m’inspirant de l’oeuvre de Constantine, explique-t-elle. Une fois les tableaux finis, nous avons réalisé, interloqués, que nos visions colorées de Rhapsodies et de Fantasias étaient très semblables. ».
De part et d’autre de la scène, deux écrans projettent ces tableaux abstraits alors que Christina Petrowska Quilico se lance dans le premier extrait de la soirée, Postcards from Smyrna, tiré de Rhapsodies. Influencé par les racines helléniques du compositeur, ce morceau invite l’auditeur à un voyage aux confins de l’Occident et de l’Orient, tel le récit d’une intrigue lancinante entre Athènes et Istanbul.
Suivent …to a Galliform Marionette, également tiré de Rhapsodies et Shadow Variations on a theme by Alan Hovhaness, titre énigmatique s’il en est. Les doigts de la pianiste se promènent délicatement sur l’ébène et l’ivoire du Steinway avant de laisser l’ombre en question grandir, lentement mais sûrement, jusqu’à engloutir la salle entière. Servie par une technique irréprochable, la première partie se clôt sur les applaudissements nourris du public.
Après un court entracte, Christina Petrowska Quilico entame Soul Ascending tiré de Fantasias, suivi de Visitations et, surtout, de Pandora’s Jar, interprétation du célèbre mythe grec dans lequel Pandora, première femme créée par les dieux à partir d’argile, envoie tous les maux sur Terre après avoir pêché par curiosité et ouvert cette fameuse jarre (et non pas boîte, comme nous l’apprend le programme).
Le morceau est à l’image du mythe : sombre, tragique, désespéré. Se basant sur le thème de Bunte Blätter (Feuilles colorées) de Schuman, Constantine Caravassilis s’est concentré sur le premier mal à s’être échappé de la jarre, le cynisme. « J’ai voulu représenter ce fléau par un rire sarcastique, presque démoniaque, qui se retrouve répété musicalement dans le thème de la pièce », explique le compositeur.
Pour finir, View from Pluto voit la pianiste rentrer dans cette mélodie aussi glacée que les -233 degrés de la lointaine planète pour un final qui finit de ravir l’assistance. C’est donc un Caravassilis comblé et une Petrowska les mains pleines de bouquets de fleurs qui saluent la salle debout. Même si Constantine déclarait avant le concert « aimer le fait que mon ancien professeur n’hésite pas à laisser une fausse note se glisser ça et là, ce qui épice un peu l’œuvre », force est de constater que de fausse note, il n’y en eut point. Une réussite totale.
Photo : Christina Petrowska