Olaïsha Francis
Née au Cameroun, Vicky Patterson De Nkenglack est une artiste pluridisciplinaire passionnée par le chant et le cinéma. « À l’époque, le cinéma camerounais n’était pas vraiment développé, mais j’ai eu la chance de participer à des ateliers et courts-métrages qui m’ont valu le prix de meilleure actrice dans un festival local », confie-t-elle.
Diplômée en logistique et transport, elle réalise sa première production avant de déménager, pour poursuivre ses études en Belgique. Là-bas, elle décroche un diplôme universitaire de premier cycle en comptabilité, tout en essayant de garder un pied dans le milieu artistique.
Installée au Canada, Mme Patterson De Nkenglack refuse d’abandonner son rêve malgré une vie de famille naissante. Elle commence à faire de la figuration dans la série Netflix à succès Umbrella Academy, une opportunité qui a créé son réseau de contacts : « C’est comme ça que j’ai été remarquée », dit-elle.
Né d’un projet retravaillé qu’elle a réalisé en collaboration avec Gabi Ruben Ngounou, Sans Jugement est un film audacieux qui aborde les réalités sociales et politiques du Cameroun. Il raconte l’histoire d’Anna Moukoudi, une avocate qui se bat pour défendre un jeune homme accusé à tort dans un pays où la corruption et la violence sont répandues. L’histoire s’inspire de faits réels, en particulier de la disparition tragique des neuf de Bepanda, arrêtés à la suite d’une simple affaire de vol de bonbonnes de gaz dont la présumée disparition a suscité de nombreuses interrogations.
« Je venais d’accoucher. J’ai dû perdre 30 kilos pour incarner le rôle. Le film a été tourné dans un décor réel à Douala, Bona et Nkongsamba, sans soutien institutionnel », explique Mme Patterson De Nkenglack. Malgré cela, le film a eu un beau parcours à l’étranger, décrochant neuf prix internationaux, y compris celui de meilleure actrice au Nigeria, au Rwanda, et le Prix de la Paix Nord-Sud au Festival panafricain de Cannes.
« L’émotion était forte. J’étais vraiment contente que le travail que nous avons fait puisse payer et être reconnu à sa juste valeur. Nous avons reçu le Prix de la paix Nord-Sud. Ça m’a particulièrement touchée de voir que le public a compris notre message », raconte-t-elle.
Le 23 mai, Vicky Patterson De Nkenglack a présenté son film en avant-première au York Woods Library Theatre à Toronto. « C’était une première qui nous rend fiers, car nous faisons partie des premiers Noirs francophones à réaliser une telle avant-première à Toronto. Ça n’était jamais arrivé avant. Il y avait au moins 150 personnes, surtout des francophones, mais aussi une dizaine d’anglophones. Heureusement, comme le film a des sous-titres, ils ont pu suivre sans problème. »
C’est le début de sa tournée mondiale, avec des étapes au Cameroun, sa ville natale, à Ottawa, et, espère-t-elle, la Côte d’Ivoire, Vancouver, Montréal, Calgary ou encore Paris, si le film parvient à susciter l’appui du Conseil des arts du Canada.
Faire exister les voix noires francophones
Au-delà du cinéma, Vicky Patterson De Nkenglack veut créer un véritable mouvement. Fondatrice du Mouvement des arts noirs francophones, elle se bat pour une plus grande visibilité de cette communauté : « Nos enfants sont Canadiens, mais ils viennent de quelque part. Un jour, ils nous demanderont d’où ils viennent. »
« L’anglais a pris le dessus presque absolu. Pour exister, tu dois parler anglais. Trop souvent, lorsqu’on veut se faire une place dans le domaine artistique, on nous renvoie à notre accent, à notre différence. On veut exister pleinement, comme les autres. Ce n’est pas normal qu’on ne connaisse qu’un seul acteur noir francophone comme Omar Sy à l’international. Nous sommes une minorité, mais une minorité présente. »
Mais au-delà de la visibilité, elle veut rester connectée aux sources : « Si un jour nos enfants veulent rentrer en Afrique, il faut qu’ils sachent ce qui s’y passe, qu’ils comprennent les cultures. »
Avec Sans Jugement, Vicky Patterson De Nkenglack fait entendre la voix des afrodescendants francophones décidés à ne plus rester dans l’ombre. Elle compte bien faire du Mouvement des arts noirs francophone un point de départ vers une reconnaissance internationale. À la fin de sa tournée, son souhait est de rendre le film accessible à tous sur les plateformes comme Netflix ou Prime Vidéo.
Photo (Crédit :Le Métropolitain) : Vicky Patterson De Nkenglack