Le 13 février, le Club Canadien recevait la journaliste Brigitte Bureau dans le cadre de son dîner-conférence mensuel. En 2016-2017, Mme Bureau a enquêté sur les failles technologiques des cellulaires permettant l’espionnage des communications privées, une réalité qui a des conséquences jusque dans les hautes sphères du pouvoir. Son investigation s’est traduite par deux reportages diffusés sur les ondes de Radio-Canada.
Après quelques mots de bienvenue de Marjorie April, animatrice à la radio de la société d’État et maîtresse de cérémonie, Brigitte Bureau a entamé sa présentation en laissant tomber ce fait troublant : pour écouter les conversations sur cellulaire de quelqu’un et voir ses textos, il ne suffit que de connaître son numéro de téléphone. Avec cette simple information, un pirate informatique, équipé simplement de son ordinateur, peut avoir accès à une mine de renseignements personnels.
Un appareil peu connu du grand public est souvent mis à contribution dans ce type d’espionnage : le capteur IMSI (International Mobile Subscriber Identity). Imitant le fonctionnement des antennes de téléphonie cellulaire, le capteur IMSI ratisse les communications dans un certain périmètre et permet à son utilisateur de les écouter. Il est possible de détecter la présence de ce type d’appareil et, pour des raisons qui restent à éclaircir, plusieurs sont utilisés à Ottawa dans le secteur de la colline parlementaire et du quartier Bytown.
Mme Bureau a également familiarisé son auditoire à un autre terme : le SS7 (système de signalisation #7). C’est ce système qui, de partout dans le monde, permet de faire des appels qui sont ensuite relayés d’une antenne à l’autre. Environ 800 compagnies y ont accès, sans compter les entreprises connexes. Il va sans dire qu’avoir accès aux méandres de cette structure technologique donne l’occasion d’intercepter des conversations.
Avec l’assentiment de Matthew Dubé, député à la Chambre des Communes, Mme Bureau a voulu tester les conséquences possibles des failles du système téléphonique. Elle s’est donc rendue en Allemagne, pays réputé pour les recherches qui y sont menées pour contrer ce problème, afin de rencontrer des spécialistes du piratage. Avec eux et M. Dubé, elle s’est livrée à une expérience : elle a utilisé son téléphone portable pour contacter le député sur son cellulaire. Sans effort, leur conversation a été interceptée et enregistrée par leurs complices allemands. Comme Brigitte Bureau l’a également appris, un pirate peut aussi intercepter des appels locaux n’importe où sur la planète, localiser le lieu où se trouve le cellulaire visé, envoyer de faux textos, décider qu’un message laissé sur une boîte vocale ne se rendra pas à son destinataire, etc.
Le choix de Matthew Dubé comme cobaye volontaire de cette expérience n’est pas anodin : il s’agit du vice-président du Comité permanent de la sécurité publique et nationale. L’interception des communications peut donc avoir une dimension politique susceptible de compromettre la sécurité du pays. D’ailleurs, la diffusion des deux reportages de Mme Bureau a contraint la Gendarmerie royale du Canada et le Service canadien du renseignement de sécurité à déclencher une enquête.
Il n’y a pas que les politiciens, les ambassadeurs et les lobbyistes qui peuvent se faire espionner de la sorte. Le commun des mortels, du moment qu’il possède un cellulaire, est une victime potentielle des pirates informatiques, et il existe d’ailleurs des gens qui se sont fait détrousser de cette façon. Numéros de carte de crédit, codes d’identification et autres données financières sont souvent communiqués par téléphone portable, et même si l’interlocuteur est une personne de confiance, quelqu’un de malintentionné peut aussi être à l’écoute.
Curieusement, comme l’a fait remarquer Brigitte Bureau, les Canadiens ne semblent pas très préoccupés par ce problème. « Je n’ai rien à cacher » est une prétexte rassurant que se donne bon nombre d’entre eux pour excuser leur indolence face à ce danger auquel les Européens et les Américains sont davantage sensibilisés. Pourtant, en notre époque, tous ont intérêt à prendre conscience de la masse insoupçonnée d’information qui est communiquée par des voies qui peuvent être détournées.
PHOTO: Mme Bureau a relaté ce qu’elle a découvert au cours de son enquête.