Étienne Lajoie

Vingt ans après l’inauguration de leur premier projet dans la Ville reine, l’architecte paysagiste québécois Claude Cormier et sa firme, CCxA – l’équipe derrière l’anneau de la Place Ville Marie –, continuent d’insuffler leur « montréalité » à Toronto. Leurs deux prochaines réalisations seront certainement les plus éclatantes depuis leur arrivée dans la métropole.

Marc Hallé, président de CCxA et collègue de longue date de Claude Cormier, rencontrait une classe d’architecture de l’Université de Toronto lors d’un récent voyage d’affaires. « Avez-vous du plaisir au bureau? » lui ont demandé les étudiants.

« J’ai répondu oui, mais qu’on n’avait pas eu à travailler trop là-dessus parce que nous vivons à Montréal, ce qui apporte déjà beaucoup de plaisir et de joie », raconte le Fransaskois.

Si le plaisir fait tant partie des projets de CCxA, c’est notamment puisque « l’idée du plaisir fait partie de la culture québécoise », témoigne Claude Cormier. La cohabitation avec le milieu de l’humour – l’un des milieux artistiques les plus florissants de la province – « a sûrement teinté notre travail et notre approche », poursuit l’architecte. Cette dimension « permet de nous distinguer à Toronto et dans le Canada anglais ».

La firme a apporté du plaisir à Toronto, affirme simplement Susan Herrington, une professeure de l’Université de la Colombie-Britannique qui a publié un livre sur M. Cormier. Les deux prochains projets, qui seront inaugurés cet été, n’en sont que les derniers exemples. Le premier est une esplanade sur les rives du lac Ontario offrant une vue imprenable du centre-ville; le deuxième, Love Park, est un îlot de verdure avec, au centre, un étang en forme de coeur.

De tels projets inciteront des échanges au sein de la communauté, souligne Susan Herrington. Les architectes parlent de la théorie de la triangulation. « C’est l’idée que lorsque quelque chose d’inhabituel survient dans l’environnement urbain, vous serez plus porté à converser avec la personne près de vous », explique-t-elle. C’est le cas, par exemple, au parc Berczy, d’une fontaine de chiens crachant des jets d’eau créée par CCxA à Toronto, fait-elle remarquer.

Un parc de chiens crachant de l’eau était audacieux, mais seules les villes sans sex appeal ne prennent pas de risque, mentionne Claude Cormier. « Regarde les villes où le degré de bonheur est le plus élevé, comme Copenhague et Berlin. Pourquoi a-t-on un sentiment d’être bien là? », dit-il.

Selon son collègue Marc Hallé, les projets architecturaux ne peuvent à eux seuls améliorer le bonheur public, mais « ce que le design peut faire, c’est créer une expérience qui rejoint le véritable désir des gens de créer un lieu irrésistible et inoubliable », indique-t-il.

«  Un projet bien fait peut favoriser des choses fantastiques, mais si ce n’est pas bien conçu, si ça se dégrade, cela donne un mauvais sentiment à la population », analyse Alissa North, une professeure d’architecture à l’Université de Toronto. La qualité des matériaux, dit-elle, est importante pour cette raison. La composition même de l’espace l’est aussi : le bruit d’un camion va se réverbérer moins sur le gazon d’un parc que sur le béton, soulève Susan Herrington.

Les projets de Claude Cormier ne laissent personne indifférent; c’est l’une de ses contributions les plus importantes au milieu de l’architecture paysagiste, estime Alissa North. Ses projets paraissent simples, affirme Susan Herrington, « mais cette simplicité est très complexe », dit-elle. Le Québécois et son équipe « repoussent les limites », selon la professeure de l’Université de la Colombie-Britannique.

Le moment est opportun à Toronto pour l’ouverture d’espaces comme Love Park, pense Marc Hallé. Montréal, la culture du partage des espaces publics est plus importante, puisque la ville est plus vieille et plus dense, et la population n’a donc pas autant d’espaces extérieurs privés que la Ville reine. « Toronto, c’est un phénomène récent, avec la construction des condos », poursuit-il. Le Love Park est convenablement entouré d’énormes tours d’habitation.

Source : La Presse canadienne / Ce reportage bénéficie du soutien de l’Initiative de journalisme local, financée par le gouvernement du Canada.

Photo (Photo fournie par Somerville Construction et Industryous Photography): Le chantier du projet Love Park de CCxA