Les résidents du Fort Niagara dans l’État de New York durent bien se demander d’où pouvait venir cette terrible explosion qui fit trembler leurs fenêtres en ce mercredi 27 avril 1813. Ils ne se doutaient sans doute pas que cet énorme fracas venait en fait de York, la capitale de la colonie britannique du Haut-Canada, qui se trouvait en face sur l’autre rive du lac Ontario. Le Lieutenant Tito Lelièvre venait, sur ordre de son supérieur le Général britannique Sheaffe, de saborder la réserve de poudre et de munitions de la garnison.

Ralph Henri Bruyères, ingénieur militaire au Canada, l’avait bien pressenti dans son rapport de février 1813 : la ville était indéfendable. Les arguments ne manquaient pas : absence d’obstacles naturels qui puissent la protéger, une citadelle mal entretenue et des canons trop courts. Ajoutons à cela  des difficultés de ravitaillement, une milice peu entraînée et des troupes britanniques de second ordre (on gardait sans doute les meilleures pour les batailles en Europe). La population quant à elle comptait beaucoup d’immigrés américains dont l’allégeance à la Couronne britannique était discutable. La garnison était commandée par le Général Sheaffe, un chef militaire qui s’avéra plus tard bien trop indécis.

Danièle Caloz, guide pour le compte de la Société d’histoire de Toronto et détentrice d’une maîtrise d’histoire, explique aux participants venus pour la visite du fort que rien n’augurait de bon pour la capitale du Haut-Canada en ce printemps de 1813. Comme toutes les garnisons le long de la frontière depuis le début des hostilités avec les États américains voisins, York était en état d’alerte.

L’attaque portée par les Américains le 27 avril 1813 ne fut donc pas une surprise. Après un hiver rigoureux et à la faveur d’une fonte des glaces précoce, le général en chef américain Dearborn demanda à ses 3000 hom-mes et 14 navires d’accoster près du vieux Fort Rouillé, ancien fort français situé à l’emplacement du Parc des expositions aujourd’hui. Le Révérend Strachan essaiera bien d’organiser la défense de la petite ville de 700 habitants, située à cette époque à l’est du fort entre les rues Jarvis et Parliament. On y comptait six magasins, dont un tenu par un francophone, Quetton Saint-George. On y trouvait également pas moins de neuf tavernes, lieux où parait-il d’innombrables  péchés s’y commettaient! Capitale de la colonie, York était le lieu de résidence du lieutenant-gouverneur et le siège du parlement de la jeune colonie. Le fort quant à lui était campé à l’est de son emplacement actuel, de l’autre côté de la rivière Garrison (en gros la rue Bathurst). La poudrière de la garnison avait été aménagée près de la rive du lac.

Peu après leur débarquement, les troupes américaines se heurtèrent tout d’abord à des tireurs d’élite amérindiens venus à leur rencontre. Les Américains prirent le dessus et s’engagèrent ensuite contre les 1600 hommes du Général Sheaffe dans une clairière un peu à l’ouest de la citadelle. Là encore, les Américains s’imposèrent rapidement. Dans sa retraite, le Général Sheaffe ordonna alors de faire sauter la poudrière, explosion qui causa la mort de nombreux soldats américains. À la grande surprise de tous les habitants, Sheaffe donna l’ordre à ses  troupes de se replier sur Kingston et d’abandonner ainsi York à son propre sort.

Cette décision fit dire au shérif Bleikie : « Nous furent abandonnés comme un troupeau de moutons dans la rue! » L’acte de reddition présentée par les citoyens de York ne sera signé par Dearborn que le 28 avril. Le Lieutenant François Gauvreau, un officier francophone de la Marine provinciale, acceptera les termes de la capitulation au nom de la ville. Entretemps, les soldats américains ne se priveront pas de saccager, piller et confisquer les biens des habitants. À leur grande déception, ils ne parviendront pas à saisir un navire en construction, brûlé à la hâte par ce même… Tito Lelièvre! Après avoir rempli les cales de leurs bateaux de leur butin, les soldats américains se retirèrent cinq jours après leur arrivée. Ironie du sort, une forte tempête empêchera les navires de quitter la baie de la rivière Humber pendant une semaine.

On raconte qu’en représailles au saccage de York, des troupes britanniques brûleront la Maison Blanche à Washington. La colonie du Haut-Canada ne cèdera pas à l’envahisseur américain et deviendra un jour la province de l’Ontario. Quant à York, elle s’en remettra fort bien puisqu’elle deviendra un jour une très grande ville. Vous la connaissez tous puisqu’il s’agit aujourd’hui de Toronto.

Photo : Visite de Fort York par la Société d’histoire de Toronto à l’occasion de l’anniversaire de la bataille de York.