Avant-dernier événement de la Semaine de la Francophonie, la venue de la romancière et philosophe Gwenaëlle Aubry à l’Alliance française le 26 mars a donné lieu à une réflexion intense mais extrêmement enrichissante sur son rapport à l’écriture et à la création littéraire. La discussion est revenue sur les six romans qu’a écrits la Française et sur le rapport ambigu qu’elle entretient avec la forme romanesque.

Gwenaëlle Aubry avoue qu’elle avait une réticence par rapport au roman, attirée plus jeune par la poésie et la philosophie. Ce n’est que maintenant, après avoir écrit six romans, qu’elle accepte son statut de romancière, même si elle n’en retire aucun confort. Pour elle, la forme philosophique est plus reposante, car elle permet de ne pas dire « je ». Pour expliquer son rapport au roman, Gwenaëlle Aubry utilise une citation de Beckett : « Revenir est long, je ne sais pas d’où », qui démontre que, d’une certaine façon, elle a toujours été romancière, même quand elle ne le savait pas. Alors qu’elle déclare écrire rigoureusement à partir de ce qu’elle ne connaît pas, Gwenaëlle Aubry explique que ce qui la fascine dans la forme romancière est la possibilité d’articuler le quotidien et l’extase, l’ascension et la déchéance. À travers ces six romans, on constate une évolution dans le style de l’écrivain, d’assez sage à plus expérimental. Son premier roman, Le Diable détacheur, raconte la passion d’Ariane, jeune étudiante en philosophie, pour un vieux soixante-huitard, dans un récit fait de longues phrases, « beaux bouquets de fleurs » comme le décrit justement Pascal Michelucci, modérateur de la rencontre. L’Isolée, suivi de L’Isolement, deuxième et troisième romans publiés dans un seul ouvrage, parle de l’adolescence, du refus, la révolte, de la détention aussi (le roman est raconté en flashback depuis une prison) avec l’idée de voir ce qu’il se passe quand une idée rencontre un corps (ici, Pierre et Margot, deux jeunes qui rencontrent l’Idée révolutionnaire). Le quatrième roman de Gwenaëlle Aubry, Notre vie s’use en transfigurations (vers du poète et romancier autrichien Rainer Maria Rilke) se concentre sur la notion de laideur, avec le récit d’une femme qui se voit laide dans le regard des autres. Ce roman a été écrit à la Villa Médicis, ce qui, pour la romancière est un paradoxe (« J’ai réussi à convaincre le jury de la Villa que j’avais besoin d’être dans un des plus beaux endroits au monde pour écrire sur la laideur! »). S’en viennent ensuite Personne, abécédaire qui suit une personne disparue, et Partages, gros succès qui la place sur la carte des auteurs qui comptent, avec cette juxtaposition de deux vies d’adolescentes, Sarah l’Israélienne et Leila la Palestinienne.

À travers une discussion passionnante, l’œuvre de Gwenaëlle Aubry, qui a lu des passages de chacun de ses ouvrages, apparaît à l’image de son auteur : tourmentée, en perpétuelle réflexion et définitivement brillante.

Photo : Pascal Michelucci, modérateur de la rencontre, et Gwenaëlle Aubry, philosophe et romancière