« Je fais de la haute couture musicale. Il faut savoir s’adapter au public et aux lieux », lance tout sourire Robert Charlebois, dans les derniers préparatifs d’un concert au large des Îles-de-la-Madeleine, une croisière qui nécessitera un orchestre modulaire réduit à son minimum.
Déposant délicatement son nouveau jouet, une guitare Falcon en ivoire – « elle fait tout, c’est une partie de mon âme » –, le monument de la chanson québécoise qui a gardé une âme d’enfant rassure de tout de suite : « À Markham et Toronto, ce sera différent. On a prévu la grosse artillerie. »
La veille de son concert au théâtre Randolph à l’occasion de Francophonie en fête, la vedette canadienne revisitera ses grands classiques au théâtre Flato, le jeudi 28 septembre, lors de son spectacle Rock’oustic.
De retour d’une tournée française, l’auteur-compositeur-interprète promet un répertoire qui secoue, spécialement pour les Québécois et les Franco-Ontariens. « Les Français aiment les balades au piano. Tout écartillé est trop métal de l’autre côté de l’Atlantique, plaisante-t-il. Ici on aime plus le rock. Alors on s’arrange. Ça ne nous prend pas deux voyages de ciment pour s’adapter. On y va à l’ambiance. »
Bien sûr, les grands classiques seront là : Le mur du son, Ordinaire, Demain l’hiver, Madame Bertrand… Et un clin d’œil à Réjean Ducharme, décédé cet été. « On a écrit une quarantaine de chansons ensemble, comme Mon pays. J’espérais toujours en faire une dernière avec lui. Il n’y en aura plus jamais. Ça m’attriste d’avoir perdu cette complicité. C’était un parolier, un romancier et un homme unique. »
Les textes de Réjean Ducharme, comme ceux de Marcel Sabourin, Claudine Monfette ou encore Claude Péloquin ont façonné le mythe Charlebois qui, après 55 ans de carrière, continue d’enchanter les foules.
« Les gens viennent chercher de l’énergie et de la nostalgie, constate-t-il. Ils associent mes chansons à des tranches de leur vie. Certains ont divorcé sur J’t’aime comme un fou, d’autres se sont mariés sur Lindberg (son succès planétaire). Et puis, il faut bien le dire, on s’ennuie des années 1970 où on jetait le bonheur par les fenêtres ! »
Sauf qu’il faut aussi apporter du neuf : « Il y aura quelques titres récents, promet-il. Créer, c’est comme faire tourner des assiettes dans un cirque : il faut renouveler le numéro pour rester en phase avec le public sinon il t’oublie. » C’est avec cette recette que Robert Charlebois a traversé les époques jazz, disco, funk, rock, soulevé les foules des plus grands festivals avant de se retirer pour mieux revenir, avec une sorte de détachement, une ironie et une liberté que ne peuvent plus se permettre les artistes de la nouvelle vague. « Avant, le disque était ta carte de visite pour remplir les night-clubs. Aujourd’hui, ce sont les radios qui décident. Les distributeurs ont tué la chanson française en bridant sa créativité et sa liberté. »
Déclarant sa flamme éternelle pour le Québec dans Les ailes d’un ange, Saint-Laurent, Je reviendrai à Montréal, etc. la star aux 300 titres a aussi popularisé le joual, ce langage des quartiers montréalais longtemps méprisé, aujourd’hui adopté par tous. « Il ne faut pas avoir honte de son accent, c’est fabuleux de partager sa culture. »
La scène dans les tripes, Charlebois n’a perdu, à 73 ans, ni son humour ni son âme vagabonde. « J’admire les gens qui vivent dans une petite maison toute leur vie. J’ai connu ça lorsque j’ai pris du recul pour élever mes enfants. Mais c’est aussi fantastique de vivre dans ses valises, de faire 300 kilomètres entre chaque ville, d’aller de pays en pays. La création se fait chez soi, l’exploration se fait hors du confort routinier, sur la scène. »
Créateur insatiable aux tiroirs remplis de textes qui n’attendent que leur écrin musical, le rockeur révolutionnaire des années psychédéliques devenu poète populaire intronisé au Panthéon des auteurs court après un seul rêve : « Créer une grande chanson qui ferait le tour de la terre, une vraie belle grande chanson, LA chanson. Plus belle, plus simple, plus pure. Je ne pourrai jamais refaire J’t’aime comme fou, Lindberg ou Ordinaire… L’inspiration ne vient pas comme ça tous les jours. Ce n’est pas un oiseau bleu qui se pose sur ton épaule avec sa magie. Il faut noircir la page blanche, creuser le cœur et souffrir pour accoucher. Pour étonner les autres, il faut s’étonner soi-même.»
Robert Charlebois, un gars ben ordinaire? Pas si sûr.
Photo (DR) : Robert Charlebois : « À Toronto et Markham, on a prévu la grosse artillerie. »