Le célèbre critique de cinéma français et spécialiste de Stanley Kubrick, Michel Ciment, était l’invité lors d’une projection suivie d’une discussion orientée sur Hollywood et les Européens le 10 novembre dernier à l’Alliance française.
La soirée a débuté par la projection du documentaire Un homme à 60 % parfait : Billy Wilder, réalisé par Michel Ciment et Annie Tregot, qui retrace la vie du réalisateur autrichien d’origine juive, de ses débuts de journaliste en Autriche à sa fuite vers Hollywood dès l’arrivée d’Hitler.
Billy Wilder incarne l’exemple parfait de l’Européen à Hollywood, en exil en Amérique, où il y a fait une brillante carrière avec des films tels que Certains l’aiment chaud, Sabrina ou encore Sept ans de réflexion. Pour M. Ciment, Billy Wilder a su « faire le cinéma qu’il voulait » en s’adaptant et en négociant avec les studios. Après la projection, le critique de cinéma embarque les spectateurs dans un voyage au temps de l’arrivée des Européens à Hollywood, de la période d’avant la guerre à aujourd’hui, et examine comment ils ont influencé le cinéma de leur époque.
Il rappelle d’abord que les États-Unis sont un pays d’émigrants, véritable melting-pot des pays européens. Le cinéma américain est fondé principalement par des juifs d’Europe centrale : ils ouvrent des salles de cinéma, puis distribuent et produisent des films qui s’orientent autour de problèmes sociaux.
M. Ciment explique ensuite que les Français ont été les premiers à établir des studios en Amérique avec les compagnies Pathé et Gaumont, car la Première Guerre mondiale avait eu pour conséquence de supprimer le financement du cinéma en France.
À cette époque, dans les années 1920, l’Allemagne et les pays soviétiques rivalisaient avec le cinéma américain. Les États-Unis ont alors voulu séduire les Allemands pour améliorer leur cinéma. Michel Ciment prend l’exemple du réalisateur Ernst Lubitsch qui quitte l’Allemagne pour devenir le roi de la Paramount à Hollywood, en s’accommodant très facilement et en apportant ce qu’on appelait alors « la Lubitsch touch ». Tant de migrations d’Européens à Hollywood étaient facilitées par le cinéma muet, qui ne posait alors pas de problèmes de langue.
Puis, l’époque de l’immigration politique des Européens à Hollywood débute avec la montée du nazisme en Europe. Des cinéastes germaniques émigrent en Europe comme Billy Wilder, Fritz Lang ou encore Otto Preminger. Billy Wilder déclare d’ailleurs à l’époque :
« Les juifs allemand optimistes sont morts dans les camps de concentration, et les pessimistes ont une piscine à Hollywood ». Quelques Français émigrent également comme René Clerc ou Jean Renoir, mais Michel Ciment constate que « les Français ne sont pas de bons émigrants », car ils reviendront plus tard en France. Ils ne s’adaptent pas autant que ceux d’Europe centrale qui n’avaient pas le choix de revenir dans leur pays.
À l’époque où le nazisme se propage en Europe, les mots « nazi » et « juif » ne sont jamais prononcés dans des films américains, phénomène que Michel Ciment décrit comme une effrayante autocensure. Il remarque qu’Hitler raffolait de films américains qui savaient manier « l’art de la propagande ».
Cette époque est aussi marquée par des « films noirs », souvent des films d’espionnage qui savent « recréer l’angoisse de la guerre, la paranoïa et le climat oppressant », réalisés par les Allemands à Hollywood qui contribuent à la propagande antinazie.
Enfin, la période de l’après-guerre marque le début de la télévision et les lois anti-trust de Washington qui atteignent et effritent le cinéma des années 1950 à 1960. La fin du monopole des grands studios se fait sentir de 1960 à 1966 avec l’arrivée de cinéastes indépendants et un éclatement de la production. L’immigration des Européens à Hollywood n’est plus massive, ce sont principalement des gens des pays de l’Est qui émigrent tel Milos Forman ou Roman Polanski, fuyant le bloc communiste.
Michel Ciment termine la conférence en regrettant que les jeunes producteurs américains « soient des incultes qui sortent des business schools » et qu’ils n’aient pas l’amour du cinéma qu’avaient les immigrants à leur arrivée. Selon lui, il reste cependant quelques grands talents individuels comme Tim Burton, Clint Eastwood, ou encore les frères Cohen, qui doivent se battre constamment contre une production de « films prototypes » massive, qui témoignent d’une « vraie crise de création ».
Photo : Michel Ciment, invité d’honneur à l’Alliance française