En 1970, la réalisatrice française Suzanne Lipinska se rendit sur les lieux du tournage du film Des fusils pour Banta de Sarah Maldoror. Commandité par l’Algérie et censé documenter l’âpre combat mené par les forces armées de libération de la Guinée-Bissau contre le pouvoir colonial portugais, le film ne verra en fait jamais le jour. Jugé pas suffisamment politique au goût du pouvoir algérien, les bobines du film seront confisquées et détruites. Les photos prises par Suzanne Lipinska lors du tournage en Guinée équatoriale, la Guinée-Bissau voisine étant alors trop ravagée par la guerre, sont par contre parvenues jusqu’à nous.
Ce sont précisément ces photos dont fait usage l’artiste français d’origine guyanaise Mathieu Kleyebe Abonnenc pour son installation Cinéma chez les Balantes, exposition en place au collectif d’artistes YYZ jusqu’au 26 avril. Cet événement faisait partie du festival du film expérimental Images Festival qui s’est déroulé à Toronto du 10 au 19 avril.
L’installation est sobre, mais aborde le thème de façon percutante. En regardant le diaporama de photos en noir et blanc long de 25 minutes, on a l’impression de revoir un de ces reportages photos de guerre parus dans Paris-Match ou bien Time au début des années 1960. Le tout est accompagné d’une narration en anglais écrite par Mathieu Kleyebe Abonnenc. Deux affiches du film Sambizanga, un autre film de Sarah Maldoror qui traite de la guerre d’indépendance de l’Angola, figurent dans un coin de la salle.
Le Portugal mènera à travers toutes ses colonies africaines une guerre sans merci pour tenter d’éradiquer toute sécession. Dans un curieux effet de balancier, ce furent justement ces conflits qui ruinèrent et précipitèrent la chute du régime de Salazar au Portugal en 1974.
Des hommes armés et vêtus de treillis militaires semblent avoir fait irruption au beau milieu de scènes de la vie quotidienne dans des villages de Balantes, un peuple d’Afrique de l’Ouest. Pour combattre le colonisateur, les rebelles se fondent parmi la population locale et dans des camps perdus aux confins de la brousse équatoriale. Tout comme les autres mouvements de libération de l’époque, les guérilleros vont aussi éduquer, soigner la population en attendant un monde meilleur. Sans doute à court d’idées face à ce soulèvement populaire, le pouvoir colonial se résoudra à utiliser la force, allant jusqu’à lancer des bombes au napalm.
De par ses origines, Mathieu Kleyebe Abonnenc est sans doute mieux placé que quiconque pour jeter un regard critique vis-à-vis du passé colonial. Né d’une mère guyanaise et d’un père portugais, il grandit en Guyane française, un territoire français au nord du Brésil. Versé dans les arts, le jeune garçon fut envoyé en France à l’âge de 15 ans pour y compléter ses études. Une fois son diplôme des beaux-arts en poche, il compléta la boucle en gravitant vers l’histoire coloniale, entamant alors un examen critique de cette époque.
« J’ai réalisé que le colonialisme n’était pas seulement un produit dérivé, mais qu’il était au centre du capitalisme. Selon moi, il est synonyme de domination et d’exploitation », affirme aujourd’hui Mathieu Kleyebe Abonnenc. Pour plus de renseignements sur cette installation : http://www.yyzartistsoutlet.org.
Photo : Une vue du diaporama