Jean-François Gérard

Comment défendre la recherche académique francophone, en recul au Canada en particulier et dans le monde universitaire en général ? C’est à cette difficile question que s’est attaquée l’Université de l’Ontario français (UOF) à Toronto avec un colloque les 23 et 24 novembre. L’établissement avait invité des représentants des universités en milieu minoritaire et du Québec.

Cet événement intervient dans le contexte du rapport Harrison qui remet en cause la viabilité, et donc l’existence autonome des petites universités francophones en Ontario. Des conclusions que rejettent les directeurs d’université. Ils voient là des « attaques politiques » et rétorquent que les établissements de Sudbury ou de l’UOF sont trop jeunes, ainsi que le fait francophone ne peut pas obéir seulement à une logique économique.

« Quand on est un petit établissement comme nous, la collaboration fait partie de notre ADN, on n’a pas le choix », pose d’emblée Linda Cardinal, vice-rectrice adjointe à la recherche à l’UOF et organisatrice du colloque. Les divers intervenants de la table ronde inaugurale ont dénoncé des « conditions non équitables » pour les francophones en termes de financement, mais aussi face à des jurys non francophones.

Sarah Boily, directrice responsable des langues officielles pour Patrimoine canadien, a assuré que cette administration voulait « contribuer davantage au rayonnement de la recherche francophone ». Elle rappelle que la nouvelle Loi sur les langues officielles prévoit 8,5 millions $ sur 5 ans pour la recherche francophone et qu’au-delà de cet argent, il existe d’autres fonds à mobiliser.

Un « contexte favorable » qu’a aussi souligné Sophie Montreuil, directrice générale de l’Afcas (anciennement Association canadienne-française pour l’avancement des sciences), qui représente les 22 établissements francophones hors Québec.

Cette pointe d’optimisme tranche avec les « chiffres catastrophiques » actuels. Au Canada en 2021, il y avait 64 000 chercheurs francophones, dont près de la moitié (30 000) en contexte minoritaire hors Québec et seuls 19 % travaillent dans une université francophone et 8 % publient dans des revues francophones. « Il n’est pas normal qu’un francophone doive presque en faire un choix politique d’exercer en français », estime-t-elle.

Au-delà de la question linguistique, la situation engendre un risque de délaisser le monde francophone. « Il y a un monopole qui se fait. Pour publier dans les grandes revues, il faut publier en anglais et donc sur le monde anglo-saxon, comme les États-Unis ou le Royaume-Uni. Ça a été démontré », insiste Linda Cardinal.

Pourtant, l’ancrage dans son territoire des établissements, et donc de ses recherches, est de plus en plus demandé constatent les intervenants. « Si personne à l’Université Sainte-Anne (en Nouvelle-Écosse) ne faisait de recherche sur le homard, qui en ferait ? », donne en exemple Martin Normand, directeur de la recherche stratégique et des relations internationales à l’Association des collèges et universités de la francophonie canadienne.

La collaboration est un thème qui parle aussi à Alexandre Cloutier, président de l’Université du Québec, répartie dans près de 40 municipalités. C’est, selon lui, cet « effet réseau » qui permet à l’institution d’être présente dans de plus petites communautés comme Rimouski ou Val-d’Or et Rouyn-Noranda et d’être au passage la plus grande université du pays en nombre d’étudiants.

La fin de la discussion et les questions-réponses ont davantage porté sur les stratégies futures. Comment organiser la pression politique, mais aussi ses limites, et donc les autres voies à explorer ? Le deuxième jour du colloque devait évoquer des exemples concrets de collaboration pour « mutualiser des ressources », détaille Linda Cardinal comme des comités d’éthique communs ou des programmes conjoints de financement.

Photo : de gauche à droite, Sarah Boily, directrice générale de la direction des langues officielles de Patrimoine Canada, Alexandre Cloutier, président de l’Université du Québec, Sophie Montreuil, directrice-générale de l’Acfas, Martin Normand, directeur de la recherche stratégique et des relations internationales à l’Association des collèges et universités de la francophonie canadienne (Acufc)