Richard Caumartin
Le Club canadien invitait ses membres au dernier cocktail-conférence de la saison au Arcadian Loft de Toronto, le mercredi 23 avril, sur la thématique L’avenir de l’économie canadienne dans un monde en mutation. Les panélistes pour cette discussion étaient Jimmy Jean, économiste en chef et stratège chez Desjardins ainsi que David Alexandre Brassard, économiste en chef chez CPA Canada. L’échange était modéré par Marjorie April, journaliste économique à Radio-Canada.
L’économie canadienne fait face à des transformations majeures. Devant ces changements technologiques, géopolitiques et environnementaux, elle doit s’adapter pour relever de nouveaux défis et saisir des opportunités inédites. Quels sont les impacts de ces transformations sur nos entreprises, nos finances et notre avenir?
Pour entamer la discussion, Mme April a souligné que la population ne s’attendait pas à ce qui allait se passer à la suite des élections américaines en novembre 2024. « C’est le moins qu’on puisse dire et même maintenant, d’une heure à l’autre, on ne sait pas trop ce qui nous attend et ce n’est pas facile à suivre », explique-t-elle, faisant référence aux tarifs imposés par l’administration de Donald Trump.
L’animatrice a fait allusion au fait que le président Trump a déclaré, le 22 avril, qu’il n’avait plus l’intention de mettre à la porte le président de la Réserve fédérale américaine, Jerome Powell, qu’il a jugé « trop lent » à baisser les taux d’intérêt de l’institution, et que les tarifs de 145 % imposés à la Chine seraient revus à la baisse après des négociations qui n’ont toujours pas eu lieu. Est-ce que les panélistes sont un peu plus optimistes aujourd’hui par rapport à l’atmosphère économique qui régnait une semaine plus tôt?
« Par rapport à ce que l’on observe avec le taux d’inflation, les politiques et les tarifs, entre autres, ont un impact direct sur le secteur manufacturier et les chaînes d’approvisionnement. On a vécu cela durant la pandémie. Les discours changent d’heure en heure et ce qu’il faut comprendre, c’est que pour conclure une entente commerciale, ça prend 18 mois à négocier et 45 mois à mettre en application. De plus, la Chine risque de ne pas reculer devant les menaces de Donald Trump pour des questions d’image et que, malgré tout ce qu’il dit, il y a un manque flagrant de confiance. Il y a toujours des tarifs en suspens et pour l’entreprise en ce moment, au niveau économique, c’est très difficile pour les décideurs de prendre des décisions », explique Jimmy Jean.
« Il y a deux facettes de l’impact sur l’inflation, ajoute David Alexandre Brassard. L’incertitude économique vient diminuer la demande et peut-être diminue l’inflation, mais d’un autre côté, on sait que les tarifs ajoutent des coûts, donc on a une composante positive et les banques centrales vont se demander quelle composante va gagner. Peut-être qu’aux États-Unis, c’est la composante inflationniste, mesurée par l’Indice des prix à la consommation, qui va l’emporter. »
Jimmy Jean a clarifié deux choses : « Plusieurs pensaient que les marchés financiers allaient être vraiment la force de rappel de Donald Trump. Il utilisait beaucoup les indices boursiers comme étant, au cours de son premier mandat, le baromètre de son succès. Il avait une marge de tolérance pour la faiblesse économique sur le marché boursier qui était insoupçonnée. Ce qu’on a découvert, c’est effectivement le marché obligataire qui est venu forcer la marche arrière du président américain. De plus, le mandat de Jerome Powell se termine l’année prochaine alors, à ce moment-là, on va avoir les coudées franches pour mettre quelqu’un d’un peu plus loyal à Donald Trump en place. Cependant, il reste que c’est un comité de 12 personnes. »
Secteur manufacturier
Il a été question du secteur manufacturier qui a déjà eu une empreinte économique énorme aux États-Unis mais qui a considérablement diminué, et que M. Trump veut relancer. Est-ce que les tarifs sont une tactique de négociation pour ramener les emplois manufacturiers au pays de l’Oncle Sam?
« Je crois que cette idéologie, cette technique de négociation de ne plus faire des tarifs dits réciproques qui définissaient le déficit commercial et de se réorienter vers la Chine était la pire des stratégies qu’il aurait pu prendre. Si quelqu’un peut te faire mal, c’est la Chine, pas le Canada. Techniquement, si vous voulez faire les négociations, s’en prendre au Canada est plus facile, on est un pays très dépendant. Si on met des tarifs réciproques, on se fait mal plus pour essayer de s’en prendre aux États-Unis sachant que notre rapport est plus petit », conclut M. Brassard.
La Chine est très solide et a la main mise sur beaucoup d’éléments dont les Américains dépendent, et Donald Trump a déjà commencé à faire des concessions. Il est prêt à assouplir son discours face aux pièces d’autos, entre autres, en provenance du géant asiatique. Même si les États-Unis ont importé pour 440 milliards $ de la Chine en 2024, les Chinois n’ont importé d’Amérique que 145 milliards $, ce qui s’est traduit par un déficit commercial avec la Chine de 295 milliards $. Cela représente environ 1 % de l’économie américaine.
L’économie canadienne est stable pour le moment, selon les deux invités du Club canadien, mais son avenir dépendra beaucoup d’une économie américaine à la croisée des chemins et de l’humeur vacillante de Donald Trump.
Photo : Marjorie April, Jimmy Jean (au centre) et David Alexandre Brassard