Pierre Schoentjes est professeur de littérature française à l’université de Gand en Belgique. Il s’interroge sur les motivations des écrivains quant au choix de la fiction plutôt que du témoignage sur la Première Guerre mondiale. Il a d’ailleurs écrit et corédigé plusieurs ouvrages dont Poétique de l’ironie, Fictions de la Grande Guerre – Variations littéraires sur 14-18 et À la baïonnette ou au scalpel : comment l’horreur s’écrit.

Raconter la Grande Guerre quant on ne l’a pas vécue, c’est un véritable défi littéraire. Alors « comment aujourd’hui réactualiser l’intérêt pour la thématique de guerre » questionne-t-il, au moment où de nombreux romans français et étrangers tentent encore de revisiter la guerre de 1914-18. 

Le conférencier explique qu’aujourd’hui il est très facile de se rassembler pour le souvenir de Première Guerre mondiale et, qu’en général, « il est plus facile de se dire que son grand-père est victime de la guerre plutôt qu’il ait tué quelqu’un ». 

Il montre d’abord qu’il existe deux types de registres : le registre héroïque à la fois nationaliste et patriotique prolongeant le souvenir du soldat victime, qui s’oppose au registre pacifiste apparut avec la littérature des tranchées. Du côté des pacifistes, se trouvent des auteurs tels Henri Barbusse et Roland Dorgelès et, du côté des nationalistes, Adrien Bertrand et Raymond Escholier. C’est notamment sur Roland Dorgelès que s’arrête le professeur Schoentjes. Selon lui, il permet de montrer le paradoxe central du pacifisme : « Comment des personnes qui ont voulu témoigner ont pu écrire des fictions et des romans », s’interroge-t-il. À cette question, il répond que le roman donne un certain statut à l’auteur et qu’il permet de toucher un plus grand public. Malgré le fait que Roland Dorgelès soit reconnu par les anciens combattants comme celui qui représente le mieux le combat, le fait qu’il n’ait pas vécu la bataille le décrédibilise aux yeux de certains auteurs. Les images littéraires écrites par Dorgelès sont guidées par son imaginaire et permettent au lecteur de visualiser la Grande Guerre.

Ensuite, une seconde opposition de registres littéraires se devine grâce à deux stratégies différentes : la passion contre la raison et le gothique contre la distance (ou l’ironie). Certains auteurs veulent désormais montrer l’homme de la guerre tel qu’il est pour que la guerre ne se reproduise plus, tandis que d’autres choisissent de ne pas montrer l’horreur. L’écrivain Jean Echenoz réactualise formellement la guerre grâce à la thématique de la femme. En effet, la guerre de 1914-18 est très misogyne et « si la femme n’est pas infirmière ou religieuse, elle a un mauvais rôle, alors que pour un public contemporain c’est inacceptable », explique Pierre Schoentjes.  

L’ultime question reste de savoir comment « faire voir » la Grande Guerre aujourd’hui? Question à laquelle l’écrivain Édouard Vuillard a répondu en utilisant des images réelles pour écrire ses textes et en essayant de se mettre à la place des victimes. Il reprend par exemple une iconographie de l’époque (le « Petit Journal ») montrant l’assassinat de François Ferdinand avec sa femme qui le soutient même si elle semble d’évanouir, et l’interprète dans son texte en racontant la scène du point de vue de la femme. Echenoz et Vuillard utilisent l’art comme le cubisme et l’ironie pour essayer de réactualiser l’héritage de la guerre. 

Riche discussion sur la littérature de guerre et le souvenir au travers d’une étude de romans de fiction, et sur la place de l’écrivain quant à l’écriture de la guerre. La conférence s’est suivie d’un cocktail où les participants ont pu déguster quelques bières belges et acheter les ouvrages du professeur Schoentjes.