Jean-François Gérard
Un projet épistolaire et féministe de plus d’un an, 6 degrés, territoire de narration, est à découvrir jusqu’au 31 mars au Labo, le seul centre d’artistes autogéré francophone de Toronto.
Ce n’est « pas une commande » explique la commissaire de l’exposition et directrice du Labo, Dyana Ouvrard, mais plutôt « une chaîne » de lettres. Un mode de communication simple puisque « tout le monde en a fait ».
Depuis le printemps 2023, onze femmes-artistes se sont écrit des lettres, sans thème précis, sur les sujets qui leur tiennent à cœur. Mais plutôt que des échanges directs, chacune répondait à une autre personne. « Je réponds à la lettre de Laura, si apaisante, si apaisée. Malgré l’anxiété dont elle parle, je la sens lucide et capable de profiter d’un rayon de soleil dans son jardin avec son chat. Je réponds en colère à une tirade qui se veut optimiste et pleine d’espoir », indique ainsi un des textes, adressé à une « chère inconnu(e) ». Sa réponse pose une réflexion sur le fait de « devenir femme » et la féminité « un mensonge bien rôdé […] pour nous faire entrer dans un petit moule étriqué ».
Ce travail a connu des extensions, également exposées sur un mur. Lors de la Nuit Blanche en septembre 2023, 164 lettres semblables ont été recueillies par Le Labo pour répondre à des lettres similaires.
Plus récemment, lors du Salon du livre, un atelier d’écriture a rassemblé une dizaine de femmes francophones de tout âge. Il était animé par la Québécoise Noémie Roy, une des artistes associée au projet. Axelle, l’une des participantes, raconte : « Elle nous a conseillées de nous enlever toute pression sur le résultat, de ne pas essayer d’être originales mais sincères ». Le processus était « très organisé », avec des échanges et la formation de duos. Le tout s’est terminé par « une lecture très émouvante ».
Le vernissage, qui a rassemblé une soixantaine de personnes le vendredi 8 mars, était accompagné d’une performance du DJ Géronimo Inutiq. Il s’agissait d’une période « d’écoute active » et d’échanges sur ce que signifie « se sentir chez soi ». Une notion chère à Géronimo Inutiq, originaire du Grand Nord, familier avec le sud de l’Ontario et qui a connu l’itinérance. Né d’une mère inuite, « amenée à la maternité en hélicoptère ». Géronimo Inutiq est originaire du Nunavut mais ce territoire n’existait pas lorsqu’il est né. Il était encore rattaché aux Territoires du Nord-Ouest.
Pendant environ une heure, la parole a d’abord tourné entre les femmes ayant rédigé les lettres exposées en grand, mais s’est ensuite élargie aux autres personnes présentes, des nouveaux ou anciens de Toronto. La DJ Muzikfatale, en mauvais termes avec ses parents en Belgique, confie par exemple que Le Labo lui procure cette sensation, « un lieu toujours convivial que j’aime beaucoup à Toronto, qui n’est pas toujours convivial comme ville ».
La soirée s’est enchaînée avec de la musique électro diffusée par les platines de Géronimo Inutiq et DJ Muzikatale.