« Tout ce que j’ai appris à l’école était de la propagande », Léo Kabalisa débute ainsi la description de son périple qui allait le mener de son Rwanda natal jusqu’au Canada.
Issu d’une grande famille de sept enfants, comme toute famille africaine qui se respecte, Léo a dû quitter les siens en catimini un jour de décembre 1990 et atterrir à Toronto en plein hiver. Il était sûrement loin de s’imaginer qu’il venait de voir quatre de ses frères ainsi que son père pour la dernière fois. Ils allaient en effet périr lors du génocide rwandais quatre ans plus tard.
Invité par la Société d’histoire de Toronto pour une conférence sur la situation politique dans la région de l’Afrique des grands lacs à l’Alliance française, Léo Kabalisa apporte un témoignage poignant à propos de ce que les historiens s’accordent à penser constitue l’un des plus graves génocides du XXe siècle.
« Une Canadienne juive a proposé de m’aider à sortir du pays. Elle m’a expliqué que des gens avaient fait la même chose pour sa famille durant la Seconde Guerre mondiale en Europe. Elle voulait en quelque sorte repayer cette dette », raconte Léo Kabalisa.
Léo Kabalisa pense qu’il fut peut-être le premier Rwandais à demander le statut de réfugié au Canada. Il eut même quelques difficultés à convaincre les autorités canadiennes que ses jours étaient en danger s’il retournait au Rwanda. Après des études en sociologie au Collège Glendon suivies par un baccalauréat en éducation, Léo Kabalisa finit par enseigner le français à des élèves de 8e année dans une école du conseil scolaire de la région de York
« Un jour, j’ai expliqué aux enfants de ma classe que les Canadiens forment un arc- en-ciel. Toutes les couleurs représentent les différentes couleurs de peau des gens qui habitent notre pays. Si nous enlevions certaines de ses couleurs, l’arc-en-ciel serait bien moins joli », décrit-il ainsi avec fierté son pays d’adoption à ses élèves.
Selon lui, la source des conflits au Rwanda et en Afrique en général est née lorsque les pouvoirs coloniaux européens instaurèrent des frontières sans tenir compte des royaumes déjà en place. De surcroît, les pays africains ont refusé de reconnaître les droits des minorités depuis leur indépendance dans les années 1960. Divisé entre Tutsi, Hutu et Twa, le Rwanda a sombré dans la guerre civile et le génocide suite à l’attentat qui a coûté la vie aux présidents rwandais et burundais le 6 avril 1994. Un massacre s’ensuivit durant lequel environ 800 000 personnes appartenant à minorité tutsi périrent. Durant ces événements, la communauté internationale fit le choix de ne pas intervenir, une décision qui pèse encore lourd aujourd’hui sur les consciences.
Le conflit rwandais n’allait pas malheureusement s’arrêter aux frontières du pays. Les velléités nées au Rwanda entre les différents groupes allaient « s’exporter » au Congo, le pays voisin à l’Ouest. Depuis, des milices sèment la terreur parmi la population et menacent d’embraser toute la région des grands lacs. À en juger par les échanges aigus durant la conférence entre les différents participants, on se rend compte que les sensibilités restent à fleur de peau.
« Il faut avouer que la situation est vraiment complexe en Afrique », reconnaît Léo Kabalisa. L’héritage colonial, les intérêts miniers étrangers et les gouvernements corrompus en place rendent le problème difficile à résoudre.
« Se blâmer entre nous ou bien les autres n’est pas une solution, il nous faut entamer une réelle discussion afin de trouver un terrain d’entente entre nous, les Africains », faisait remarquer quelqu’un parmi le public.
Au-delà des passions et des souvenirs douloureux, Léo Kabalisa et l’ensemble de l’auditoire présent lors de cette soirée espère bien que le sacrifice de millions de personnes au Rwanda et au Congo ne demeurera pas vain et que l’Afrique des grands lacs saura retrouver tolérance et paix.
Photo : Léo Kabalisa