C’est pour mettre fin aux turbulences que John Tory – ancien chef du Parti progressiste-conservateur de l’Ontario – a été élu à la tête de Toronto la première fois, en 2014. Les quatre années précédentes, les scandales avaient plu à l’hôtel de ville sous la gouverne de Rob Ford.

Au moment de son intronisation, le maire avait invité le controversé commentateur sportif Don Cherry, qui s’en était pris aux « gauchistes cinglés » (« left-wing kooks »); en 2013, Rob Ford avait avoué avoir consommé du crack, puis était devenu la cible de moqueries sur la scène internationale.

Rob Ford a réalisé des projets extraordinaires, soutient son ancienne conseillère politique, Christine Maydossian, qui habite aujourd’hui Montréal. Mais ces jours-ci, quand la Torontoise de naissance retourne là-bas, elle entend de la part de ses anciens collègues que le calme est rétabli à l’hôtel de ville, ce qui fait l’affaire des fonctionnaires et des résidents.

« Il n’y a pas une centaine de caméras à la mairie et les gens sont à l’aise avec John Tory, reconnaît-elle.

« Huit ans et une pandémie plus tard, cette quiétude pourrait reconduire John Tory au pouvoir. Peut-être que quelqu’un de plus connu va se présenter » , avance Christine Maydossian, mais après la crise sanitaire, qui a été bien gérée par la Ville, « je ne pense pas que John Tory va perdre », conclut-elle.

Personne ne s’est encore présenté, « probablement parce que la popularité du maire est assez forte », pense la Franco-Ontarienne Kema Joseph, qui a travaillé au bureau du maire entre 2017 et 2021. « Le maire est bien aimé des gens à gauche et à droite. »

D’après le professeur de science politique de l’Université métropolitaine de Toronto Michael McGregor, la personnalité du candidat compte pour beaucoup durant une course à la mairie en Ontario, et John Tory est « apprécié et perçu comme un gérant compétent qui ne semble déranger personne. C’est comme l’oncle de tout le monde », convient Christine Maydossian.

Difficile à battre

D’après le professeur Michael McGregor, cette popularité éloigne de bons candidats, qui ne pensent pas pouvoir gagner étant donné la difficulté de déloger un maire sortant. En 2018, Jennifer Keesmaat, la candidate porte-étendard du mouvement progressiste, ne s’est lancée dans la course que le 27 juillet, soit à trois mois de l’élection. L’ancienne planificatrice en chef de Toronto avait pris sa décision après que le premier ministre Doug Ford eut projeté de réduire le conseil municipal de moitié, ce qui avait soulevé l’ire des membres du conseil.

Plusieurs autres candidats progressistes avaient refusé de se lancer avant elle. Sa campagne, gérée par le Montréalais Brian Topp, un ancien stratège du NPD, n’a jamais pris son envol. « Jennifer Keesmaat n’avait pas le poids de John Tory », explique Christine Maydossian.

Le soir du 22 octobre 2018, John Tory l’a emporté aisément avec 63 % des voix, une victoire encore plus grande qu’en 2014, lorsqu’il avait devancé Doug Ford et Olivia Chow – l’ex-députée fédérale et veuve de l’ancien chef du NPD Jack Layton représentait l’option la plus progressiste dans la course.

La ville de Toronto n’a pas eu un maire résolument progressiste depuis 2010. À quelques mois de l’élection, il se fait tard pour former une équipe de campagne qui pourrait battre John Tory au poste de maire, explique Kema Joseph. En revanche, plusieurs conseillers ont choisi de ne pas solliciter un autre mandat, ce qui ouvre la porte à l’arrivée de conseillers plus jeunes et plus progressistes, note-t-elle. Avec un poids suffisant, ces nouveaux élus pourraient forcer John Tory à entreprendre des projets visionnaires tant demandés par la gauche, dit-elle.

Montréal, l’idéal progressiste?

Ce travail d’influence se fera toutefois de manière informelle puisque Toronto ne compte aucun parti politique municipal. Ainsi, John Tory n’a pas eu à répondre à un chef de l’opposition au cours des huit dernières années, comme c’est le cas à Montréal par exemple.

Selon Michael McGregor, qui a enseigné à l’Université Bishop’s de Sherbrooke avant de déménager à Toronto, ce système rend les maires sortants encore plus puissants durant leur campagne et rend la tâche de les vaincre très difficile.

Le système de partis politiques municipaux est bien connu des Québécois et des Montréalais, mais il représente une exception au pays. À proprement parler, les partis politiques ne sont pas interdits en Ontario, mais ils ne peuvent être financés par le public, ce qui les rend moins pertinents, voire inexistants.

« À Toronto, vous n’avez pas un parti et un chef qui attendent dans les coulisses pendant quatre ans, explique Michael McGregor. L’opposition n’a pas le temps de se faire connaître de l’électorat. »

Après la réélection de Valérie Plante, en novembre 2021, un chroniqueur du Toronto Star a indiqué que le mouvement progressiste torontois devait s’inspirer de celui de Montréal. Michael McGregor prévient qu’il serait difficile pour les progressistes torontois de tirer des conclusions de l’élection montréalaise, en raison des choix faits à la mairie de Toronto, axés sur la personnalité des candidats, et du système de partis, qui n’existe tout simplement pas en Ontario.

« Je ne dirais pas que Montréal est nécessairement plus progressiste », estime pour sa part Kema Joseph, diplômée de l’Université de Montréal.

Le rapport à l’espace public est plus progressiste à Montréal, admet-elle, mais à certains égards, comme dans la relation entre les services policiers et les communautés culturelles, Toronto est plus progressiste.

Ce reportage bénéficie du soutien de l’Initiative de journalisme local (Le Droit), financée par le gouvernement du Canada.

Source : La Presse canadienne