Richard Caumartin
Dans le cadre de la Journée du cinéma canadien, le 19 avril, Cinéfranco a présenté pour la première fois à Toronto Derrière chez nous, documentaire du réalisateur québécois Marc Tawil, au Multiplexe Yonge-Eglinton. La production de 56 minutes est un hommage émouvant à la résilience des enfants face à l’adversité.
Ce projet a pris naissance à Montréal en 2020 alors que tout se passe au ralenti lors du premier confinement causé par la pandémie de covid. Résident du quartier Villeray à Montréal, près du marché Jean-Talon, M. Tawil décide de créer une œuvre personnelle. Sans budget, il tourne seul pendant deux ans dans la ruelle derrière chez lui une histoire racontée par les enfants axée sur des opportunités créées par la pandémie.
Son fils Olivier jouait souvent dans cette ruelle avec ses amis. Il a alors décidé de prendre sa caméra et de suivre les activités de ces enfants, leurs réactions et les effets de 5 confinements en 24 mois sur leur moral et celui de leurs parents. L’histoire commence en juin 2020, au 92e jour du confinement initial. On y voit Olivier dans la cuisine en train de colorier ce que représente pour lui la covid. Il exprime ses émotions et ses craintes en confinement chez lui.
Toute une expérience!
Dans ce documentaire, le réalisateur suit l’évolution des relations entre les enfants et leur entourage. Des amitiés se forment, des jeux et projets prennent vie. Par exemple, les enfants ont bâti avec l’aide des adultes une cabane en bois dans la ruelle et colorié les noms de chacun sur les planches pour montrer qu’elle appartient à tout le monde. L’hiver, ils ont trouvé le moyen de créer une patinoire pour jouer au hockey et bâtir des barricades avec la neige.
« La plupart des activités présentées dans cette ruelle telles les compétitions d’avions en papier, la cabane et la majorité des jeux sont leurs idées, raconte Marc Tawil. Les enfants n’ont jamais joué pour la caméra, tout était naturel pour eux. La seule décision que j’ai prise au départ est que je voulais que ce soit joué et raconté par les enfants.
« En tournant le documentaire, je me suis rendu compte que les parents avaient des choses à raconter également, et l’interaction avec leurs enfants était aussi importante. Une chose est sûre : les enfants sont sortis grandis de cette expérience-là et ont beaucoup appris aux adultes. »
En regardant l’évolution mentale des jeunes acteurs tout au long de la pandémie, le spectateur est témoin du point de vue de l’enfance qui est d’une belle originalité. Après avoir vu ce chef-d’œuvre instinctif du réalisateur, il en est ressorti une belle pureté du message, de cette relation chaleureuse entre les familles dans une ruelle qui a pris vie au cours de la pandémie en devenant un lieu de création sécuritaire et attachant pour se rapprocher les uns les autres.
« Les enfants sont beaucoup moins méfiants que les adultes. Je m’en suis rendu compte très rapidement au début du tournage, raconte M. Tawil. Je me promenais souvent avec mon chien dans la ruelle et je prenais le temps de jaser et d’apprendre à connaître les enfants du voisinage. Ce fut une expérience enrichissante autant pour moi que pour les familles participantes, et surtout une période très émotive pour tout le monde. »
Une scène touchante
Durant le tournage du film, une des mamans a accouché d’un petit garçon qui est vite devenu pour les enfants de la ruelle leur petit frère. Malheureusement, quelques semaines plus tard, durant la nuit, le bébé est décédé et le spectateur a été témoin du deuil vécu par les enfants, une autre épreuve qui a solidifié leurs liens. Un passage assez poignant du documentaire qui a touché les cinéphiles le soir du visionnement.
Lors de la première projection de Derrière chez nous à Montréal l’an dernier, tous les enfants et les parents participants y étaient et ont vécu beaucoup d’émotions. Et qu’est-il arrivé à cette ruelle depuis le tournage? « Les amitiés se sont soudées entre les familles, la patinoire de la ruelle est revenue cet hiver et la cabane est toujours là », conclut Marc Tawil.
Les émotions ressenties par le biais des yeux et des mots des enfants, leur personnalité, et le fait que ce documentaire portant sur la pandémie de covid soit complètement dénudé de politique sont remarquables. Cet hommage à la résilience des enfants a d’ailleurs remporté le Prix du meilleur moyen métrage documentaire au Festival international du film libanais en 2022. Cependant, ici au pays, le réalisateur peine à vendre son film parce qu’il traite de la pandémie, un sujet que les gens sont écœurés d’entendre et veulent oublier au plus vite. Les producteurs et distributeurs croient peut-être que le sujet se vendrait difficilement.
N’empêche que ce bijou cinématographique est poignant de réalité, brillant dans sa conception et son originalité, et vient chercher le cinéphile dès les premières images. Une ode à la résilience et à l’amitié indéfectible entre enfants à voir absolument si l’occasion se représente.
Photo : De gauche à droite : Suzan Ayscough, Tanya Kelen, Marcelle Lean, Marc Tawil, Anne Sophie Roy et Dimitrii Osipov