Jean-François Gérard
« La mémoire préfère prendre le dessus sur l’Histoire. Il faut parfois remettre les pendules à l’heure avec des faits. » Par cette formule, l’historien Joseph Gagné résume les rares traces visibles de l’empire français en Ontario. Ce Franco-Ontarien de 39 ans, originaire de Chapleau, travaille à la Bibliothèque et archives nationales. Il a fait le déplacement depuis Québec pour répondre à l’invitation de la Société d’histoire de Toronto le mercredi 19 avril.
Loin d’être « un monolithe temporel », la période française s’étend de 1524 à 1763. Une période de 239 ans, presque aussi longue que celle de 260 ans, entre le passage sous pavillon britannique à nos jours. Mais les vestiges physiques de cette époque sont difficiles à distinguer. Le fort Toronto, ou fort Rouillé, se tenait à l’emplacement d’Exhibition Place. Seule une discrète colonne rappelle son existence. D’autres lieux historiques ont été submergés lors de la création de barrages hydrauliques.
« À Thunder Bay, on reconstruit le fort britannique William et on appose une petite plaque pour le fort – un fort français », compare le spécialiste du XVIIIe siècle. Ou encore « les canotiers (français) sont au cœur du récit canadien, mais ils sont peu en avant face aux agriculteurs (britanniques) ».
Des traces françaises, plus subtiles, se dénichent dans les noms donnés aux lieux par les Français. « Thunder Bay » est par exemple la traduction de la baie du Tonnerre. Le « patrimoine naturel » évoque aussi le passé français.
« À Michipicoten, la vue sur le lac Supérieur est identique aux récits historiques », constate le doctorant à l’Université de Laval et post-doctorant à celle de Windsor. Plusieurs parcs naturels conservent des noms français. Sans oublier « les poiriers des Jésuites » importés et que des initiatives visent à préserver.
Carte à l’appui, Joseph Gagné montre que malgré un « énorme territoire revendiqué », qui s’étendait jusqu’à la Louisiane, la Nouvelle France était en fait très peu habitée. Les Autochtones étaient bien plus nombreux que les colons français.
Côté États-Unis, l’héritage français est encore plus rare. Face à Windsor, à Détroit, « le site du fort Maine se situe sous le siège de General Motors ». Mais depuis une quinzaine d’années, « La Marche du Nain rouge », une figure légendaire liée à la présence française, a remplacé, avec ce nom français, la parade de carnaval. Depuis les rives canadiennes, on peut aussi distinguer le fort Niagara, « le plus grand bâtiment français construit hors du Québec ».
Côté franco-ontarien, la mémoire et l’histoire continuent de poser des débats. Pour les 400 ans de l’Ontario français, fallait-il célébrer Étienne Brûlé en 2010 ou Samuel de Champlain en 2015, une figure historique moins consensuelle aujourd’hui?
« On existe depuis bientôt 40 ans et nous aussi on essaie de remettre les pendules à l’heure sur certaines définitions », ajoute pour sa part Rolande Smith, présidente de la Société d’histoire de Toronto. Les éléments présentés par Joseph Gagné sont issus de recherches récentes, dont les résultats et analyses seront détaillés dans un livre à paraître cette année. Actif sur les réseaux sociaux, il anime aussi le portail « Nouvelle France électronique » et le blogue « Curieuse Nouvelle France ».
Photo : L’historien Joseph Gagné