En cette période du mois de Ramadan qui a débuté le 13 avril dernier, le constat s’impose : durant ces temps de crise sanitaire, on évoque souvent des fêtes religieuses telles que Noël ou Pâques et l’impact psychologique et social des confinements à répétition sur les personnes qui les célèbrent, mais peu celle du Ramadan.

Et pourtant, cette fête religieuse musulmane dure pendant un mois et, de ce fait, les conséquences sur la communauté (de plus en plus nombreuse en Ontario en général et à Toronto en particulier) peuvent être longues et profondes. Le Métropolitain s’y est intéressé. Reportage.      

« C’est notre deuxième Ramadan au Canada, et le Ramadan ici, dans ces conditions de crise sanitaire, n’est que solitude. Heureusement que j’ai ramené des petits mets et un petit stock d’épices qui nous rappellent les senteurs du pays ».

Ces mots qui sortent du ventre (creux) de Yasmine Chaib, une jeune résidente permanente d’origine algérienne fraîchement installée avec son conjoint et sa petite fille à Toronto depuis mars 2020, résument fort bien le sentiment d’une grande partie de la communauté francophone musulmane du Grand Toronto qu’on a pu rencontrer.

Et pour cause, sous d’autres cieux et en d’autres temps plus cléments, le Ramadan est associé à une période de festivités et représente l’occasion de se retrouver en famille et entre amis afin de partager, entre autres, le iftar (la rupture du jeûne)et une bonne partie de la soirée.

En effet, le ramdam du Ramadan (d’ailleurs, l’expression « faire le ramdam » est tirée du mot Ramadan et fait référence aux fêtes qui se tiennent pendant ce mois) est visible la nuit dans tous les pays musulmans du monde comme nous le rappelle Yasmine : « Ce qu’il faut savoir c’est que la majeure partie des familles algériennes sortent beaucoup durant les soirées ramadanesques. Ici, pendant le confinement, on ne ressent pas une grande différence entre le Ramadan et les autres mois, à part durant l’heure de la rupture du jeûne. Le contact humain nous manque énormément, surtout avec nos familles. » 

Un mois de partage et de retrouvailles

Les notions de retrouvailles et de partage sont indéniablement au cœur du mois de Ramadan. Plus que toute autre période, celle-ci est donc attendue avec impatience par la communauté musulmane. Or, pour la deuxième année consécutive, il n’en est rien de ces ingrédients essentiels qui font l’essence même de ce mois sacré.

« Il est vrai que je suis de nature optimiste, mais je ne vois rien de positif à passer le Ramadan en plein confinement. Il y a eu un changement radical par rapport aux années précédentes avant l’avènement du coronavirus. Je peux même avancer que le Ramadan a perdu son charme à 80 % car les mesures, nécessaires soit dit en passant, imposées par la pandémie et qui consistent à ne pas se rendre à la mosquée pour faire la prière en groupe ou de se regrouper avec les amis autour d’une table d’iftar bien garnie, ont enterré le côté spirituel (NDLR : voir encadré) et traditionnel de ce mois », avoue Mohammed Tamimy, un trentenaire marocain qui a élu domicile à Toronto depuis janvier 2021.

Il est donc indéniable que le plus sacré des mois en islam est aussi et surtout un phénomène anthropologique, une soupape sociologique qui concernent à peu près deux milliards de personnes à travers le globe, dont un demi-million rien que dans la région du Grand Toronto. Et, face à une situation pandémique qui se prolonge, cette soupape est en train de voler en éclat.

La sagesse des anciens

Toutefois, si une certaine « détresse » est perceptible chez les nouveaux arrivants qui, pour la plupart, passent leur premier Ramadan loin des leurs, on a pu constater que les propos des anciens, ceux qui ont immigré au Canada depuis quelques années déjà, sont plus modérés, voire plus résignés.

En effet, les témoignages recueillis pour les besoins de ce reportage le démontrent aisément, à l’instar de ce père de famille d’origine marocaine installé avec sa famille à Mississauga depuis 11 ans et qui a préféré garder l’anonymat : « Même en période de stay at home, le Ramadan se vit bien, un jour à la fois. Il est vrai que les mosquées sont fermées, et que nos amis ne peuvent pas nous rendre visite, mais à y regarder de plus près, on peut trouver des points positifs à cette situation, comme le fait de pouvoir travailler à distance, ce qui permet de mieux supporter le manque de sommeil et libérer plus de temps pour préparer les repas de la rupture du jeûne ».

Le raccourci de résumer ce phénomène inédit en une question d’habitudes et de temps d’adaptation est tentant, mais fort déconseillé, puisqu’un grand pan des personnes qu’on a pu interroger présentent un malaise psychologique manifeste dû à cette situation. Peut-être qu’un suivi et/ou un programme d’accompagnement s’impose de lui-même!

Quoi qu’il en soit, cette crise planétaire nous a appris une chose essentielle, quelle que soit notre religion ou notre couleur de peau, on est tous égaux face au malheur, raison de plus – s’il en fallait une – de se serrer les coudes avec pour seule considération : l’être humain. À méditer. Ramadan karim à toutes et à tous qui le célèbrent.

SOURCE – Soufiane Chakkouche