Jean-François Gérard
C’était la 39e projection du documentaire L’Afrique, berceau de l’humanité et des civilisations, mais la réalisatrice Bénita Jacques était quand même un peu nerveuse avant la séance au Festival international du film de Toronto (TIFF). « On ne s’habitue jamais », confie-t-elle, deux ans après la sortie du film qui l’a vue pourtant se rendre à de nombreux festivals à travers le monde.
Le documentaire de près de deux heures met en scène cette Montréalaise, après une discussion avec sa fille, qui se rend à Dakar au Sénégal en quête de connaissances sur le passé du continent. « Ce sont des questions que je me posais petite et que mes enfants me posaient à leur tour », explique l’artiste au Métropolitain.
Dans les premières minutes, sa fille lui dit avoir le sentiment que « les Blancs ont plus de pouvoir » et partage ses propres préjugés sur l’Afrique, dangereuse et pauvre selon son regard. « Je suis allé chercher des réponses pour mes enfants et j’en ai trouvées pour moi également. Le film permet de mieux me projeter dans l’avenir », ajoute Benita Jacques en entrevue.
Avec de nombreux spécialistes, de plusieurs disciplines et de différents pays, le documentaire passe en revue les grandeurs historiques des civilisations africaines et comment les Européens se les sont appropriés par la suite, par exemple les mathématiques ou la construction.
« Cette approche met de côté le bourreau contre victime pour s’intéresser à l’Afrique pré-coloniale », ajoute Benita Jacques, en signalant que « nous sommes tous des Africains », puisque c’est là que se trouvaient les premiers humains.
Un passage revient également en détail sur le tristement célèbre discours du président français Nicolas Sarkozy à l’Université de Dakar qui déclare que « l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire » et enchaîne les clichés en dépeignant les Africains dans un quotidien monotone, sous-développé, où « il n’y a de place ni pour l’aventure humaine, ni pour l’idée de progrès ».
Le documentaire va bientôt sortir dans les cinémas en Grèce ou en Colombie, mais n’a pas encore de distributeur pour être projeté au Canada. Une situation qui étonne la Québécoise, venue d’Haïti à l’âge de 13 ans, qui aimerait que « le plus de personnes possible puissent voir le film », à commencer par son pays de résidence. Mais « je n’ai pas le contrôle sur tout », pointe-t-elle. « Le film est sélectionné dans de nombreux festivals, c’est qui est le plus exigeant, donc la qualité n’est pas le sujet », déclare-t-elle.
La diffusion au TIFF a pu être organisée avec le soutien du Mouvement pour l’inclusion des communautés racisées de l’Ontario (M.I.C.R.O.), organisation fondée en 2020. « Cette projection résonne avec notre mission », indique la fondatrice Elykiah Doumbe avant la séance.
À l’issue du film, quelques prises de parole saluent ce travail et appellent à s’organiser pour mieux le diffuser. « J’ai fait ma part, à vous de prendre la suite », lance Benita Jacques à la salle, qui comptait justement divers distributeurs de films.
Photo : Benita Jacques, autrice et réalisatrice du documentaire.