Le sort semble s’acharner sur la perle des Antilles. En effet, après un méga tremblement de terre en 2010 qui a coûté la vie à un quart de million de personnes, une sécheresse dévastatrice en 2018, des ouragans et des inondations à répétition, un climat d’insécurité permanent causé par des gangs souvent mieux armés que la police, une pauvreté extrême (selon la Banque mondiale, avec un PIB par habitant de 697 $ en 2021, Haïti est le pays le plus pauvre des Amériques et le quinzième plus démuni au niveau mondial) et une situation sociale et politique très instable avec une valse de premiers ministres (le dernier, Ariel Henry, a été nommé par le défunt président à peine 24 heures avant la mort de celui-ci, sans compter que le pays n’a plus de parlement depuis janvier 2020), voilà que les Haïtiens en général et la communauté haïtienne de Toronto en particulier se sont réveillés, le 7 juillet dernier, sur un autre séisme, politique celui-là : le très contesté président du pays, Jovenel Moïse vient d’être assassiné.
Les faits
À en croire le communiqué de la police haïtienne, durant la nuit du 6 au 7 juillet, un commando lourdement armé s’est introduit dans le domicile du président dans la banlieue de la capitale Port-au-Prince pour le cribler de balles. Le chef du pays est mort sur-le-champ alors que sa conjointe, Martine Moïse, âgée de 47 ans, a été grièvement blessée dans l’attaque et a été transportée à un hôpital américain de Miami. S’en suit alors une véritable chasse à l’homme dans les rues de la ville qui a rapidement mené, à l’heure de la mise sous presse, à l’arrestation de 17 personnes et à la mort de 3 autres. 8 autres suspects courent toujours dans la nature.
Les suspects
Toujours selon les services officiels du pays, ils seront, en tout et pour tout, 28 mercenaires impliqués dans cet homicide, dont 26 Colombiens parmi lesquels d’anciens militaires, et 2 Américains d’origine haïtienne.
Cette dernière information n’a pas été confirmée par Washington. Toutefois, tout porte à croire qu’elle est vraie dans la mesure où la Maison-Blanche a d’ores et déjà fait savoir par le biais de sa porte-parole Jen Psaki que, pour les besoins de l’enquête, elle va « envoyer des responsables du FBI et du DHS (Département de la sécurité intérieure) à Port-au-Prince aussi vite que possible ».
De son côté, l’ambassade d’Haïti à Washington a déclaré savoir que le commando était formé de tueurs à gages « professionnels » qui, pour s’introduire dans la résidence du président, se sont fait passer pour des responsables de l’Agence américaine antidrogue.
Un ancien employé de l’ambassade canadienne parmi les assaillants?
L’un des deux mercenaires américains arrêtés, James Solages, résidait en Floride, d’après un haut responsable, où il prétendait gérer un établissement caritatif œuvrant au développement de la région de Jacmel à Haïti.
Mais avant cela, il a travaillé en 2010 en tant que garde du corps pour le compte de l’ambassade canadienne à Haïti. Information qui a été confirmée par une source fédérale canadienne anonyme auprès de nos confrères de La Presse, tout en la minimisant puisqu’elle parle d’un ancien garde du corps de réserve employé par une entreprise canadienne pour le compte des Affaires mondiales Canada.
Quoi qu’il en soit, James Solages s’est avéré être un témoin clé de cette affaire. En effet, auditionné par le juge de paix suppléant de Pétion-Ville, Clément Noël, l’homme affirme que la mission du groupe de mercenaires n’était pas de tuer le président Jovenel Moïse, mais de le capturer vivant.
Il prétend également que le commando était présent sur le sol haïtien depuis plusieurs mois. Pour ce qui est des commanditaires, car un mercenaire ne s’en va pas tuer quelqu’un, un chef d’État qui plus est, pour le plaisir, l’ancien garde du corps affirme devant le juge avoir dégoté cette offre « d’emploi » sur Internet, c’est aussi simple que cela!
Droit vers l’impasse politique
Comme mentionné précédemment, le président Jovenel Moïse venait de nommer un énième premier ministre, Ariel Henry, 24 heures avant sa mort. Or, la nouvelle recrue n’a guère eu le temps de prendre ses fonctions. C’est donc le premier ministre par intérim, Claude Joseph qui l’a devancé pour décréter l’état de siège dans le pays durant 15 jours, attribuant ainsi le quasi plein pouvoir à l’exécutif.
Cependant, et c’est bien là où le bât blesse, Haïti ne possède plus de parlement depuis janvier 2020, ce même parlement dont la fonction est, notamment, de fournir une solution de transition en attendant les élections. Quant à la Cour de cassation qui aurait pu également proposer une alternative, son président, René Sylvestre a rendu l’âme suite à sa contamination par la COVID-19 moins de deux semaines avant l’assassinat du président; c’est à croire que ce pays a été touché par une pugnace malédiction!
Pour le moment, un calme relatif règne dans les rues de Port-au-Prince, sans doute grâce au choc qu’a provoqué cette funeste nouvelle sur la population, car dans ses multiples malheurs, celle-ci n’a pas l’habitude d’un tel drame, le dernier président haïtien assassiné, Jean Simon Vilbrun Guillaume Sam, remonte à 1915, soit un demi-siècle avant l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy.
Cependant, les observateurs sur place craignent un chaos et une lutte acharnée pour le pouvoir, d’autant plus que beaucoup parlent de complot de grande envergure et avancent pour preuve le fait que, hormis le président et sa femme, aucun policier ni garde présidentiel ne figure dans la liste des victimes.
D’ailleurs, le chef du parquet de Port-au-Prince chargé de l’affaire a déjà convoqué deux hauts responsables de la sécurité du président afin d’éclaircir ce constat.
Par ailleurs, la presse locale et des témoins oculaires évoquent un climat tendu dans la capitale ainsi que des affrontements armés entre gangs rivaux seulement 24 heures après la mort du président. Cette situation a conduit Ottawa à recommander à ses citoyens de ne pas se rendre à Haïti, et ce jusqu’à nouvel ordre. Affaire à suivre…
SOURCE – Soufiane Chakkouche
PHOTO (Twitter) – Le président Jovenel Moïse en mai dernier