Lorsqu’Étienne Brûlé descendit la rivière Humber en 1610 en compagnie d’un groupe de guides hurons, il put sûrement apercevoir des grands champs de maïs et des maisons longues entourées de palissades. Si l’envoyé de Champlain fut selon toute vraisemblance un des premiers Européens à se rendre sur les rives du lac Ontario, il ne fit en fait que suivre une voie déjà empruntée par les Amérindiens depuis des temps immémoriaux. Hurons Wendats, Français, Iroquois, Mississaugas et Anglais, tous utilisèrent ce portage le long de la rivière Humber, dernière étape d’un périple entamé sur les rives du lac Simcoe pour aboutir sur les bords du lac Ontario.

Aujourd’hui les champs de maïs, de haricots et de courges ont cédé la place aux résidences. On trouve des condos où autrefois se tenaient des villages amérindiens. L’odeur du foin se fait rare là où le gazon est désormais roi. Les cours d’eau ont cédé le pas à l’autoroute 400. Les saumons et le gibier se font plus rares. Les petits serpents se risquent à traverser la route.

Le visiteur peut encore cependant avoir un petit aperçu de ce que représentait la rivière aux cours des derniers siècles. Grâce à la création d’une douzaine de stations d’interprétation, installées le long de la rivière entre la rue Dundas et là où elle se jette dans le lac Ontario, les promeneurs entreprennent un véritable voyage à travers l’histoire de la région. Les panneaux placés en cercle autour de grosses roches décrivent ceux qui s’installèrent le long de ce « sentier partagé », relatant le passage des Premières nations, celui des Européens jusqu’à la crue dévastatrice de la rivière causée par l’ouragan Hazel en 1954.

C’est sous l’impulsion de la Société d’histoire de Toronto (SHT), un groupe de francophones bénévoles et férus d’histoire, que fut créé en 2011 ce parcours d’interprétation au sein du Parc historique de la rivière Humber.

« Il n’est pas rare de trouver encore des artéfacts dans le coin quand on creuse pour construire des maisons ou en faisant du jardinage », explique Lisette Mallet, guide et membre de la SHT, lors d’une récente visite. Source intarissable de connaissances quand il s’agit de l’histoire de la rivière Humber, Mme Mallet raconte qu’on y retrouva même une hache espagnole, preuve selon elle que la Humber fut de tout temps un lieu d’échange et de rencontre.

La guide entreprit d’expliquer à une quarantaine de participants ce jour-là qu’un immense bassin hydrographique et un important dénivelé contribuèrent à ce que la rivière Humber devienne un axe de communication majeur et un pôle économique d’importance. La rivière Humber, ainsi que ses nombreux affluents, permettaient aux voyageurs et marchands de se rendre jusqu’au lac Ontario, soit en la descendant en canot ou bien en empruntant les multiples portages aménagés le long de ses berges. Plus tard, le fort courant favorisera l’implantation de plusieurs moulins, d’où l’origine de lieux tels que Old Mill et Kings Mill.

Lisette Mallet rappela qu’Étienne Brûlé ne fut pas le seul et unique francophone à fréquenter la région, loin s’en faut. L’explorateur René Robert Cavelier de La Salle fait mention de la rivière Humber dans son journal le 22 août 1681, alors en route pour le Mississippi. D’autres, à l’instar des marchands Jean-Baptiste Rousseaux et  Laurent Quetton Saint-George vinrent faire du commerce le long de la Humber. Jacques Baby, homme influent au sein de la société du Haut-Canada, vint s’établir au début du XIXe siècle sur un lopin de terre connu aujourd’hui sous le nom de Baby Point. De toute évidence, les francophones n’ont cessé de marquer la rivière de leur empreinte au cours des quatre derniers siècles.

« À la suite de cette visite, je vois désormais la rivière Humber sous un angle différent, avec un œil de francophone », se réjouit Christina Turcotte. Cette jeune femme a pourtant grandi à Etobicoke sans pour cela connaître l’héritage français de son quartier.

« Madame Humber », comme les membres de la Société d’histoire de Toronto appellent affectueusement Lisette Mallet, ne manqua pas de mettre les choses au point en ce beau dimanche après-midi ensoleillé.

Pour tout renseignement au sujet des visites populaires organisées par la Société d’histoire de Toronto : www.sht.ca.

Photo : Lisette Mallet, guide et véritable historienne de la rivière Humber