La scène faisait plaisir à voir. Les mots d’encouragement prodigués par la ministre déléguée aux Affaires francophones, Madeleine Meilleur, résonnèrent haut et fort ce en ce début de soirée dans l’atrium de Radio-Canada. Les accents traditionnels du groupe québécois Genticorum, Brassens arrangé à la sauce Amélie et Les Singes Bleus ainsi que les rythmes endiablés des guitares de Madagascar Slim et de Donné Roberts firent du lancement de la 14e édition de la Semaine de la francophonie un beau succès. Un bal populaire vint clore les réjouissances. 

Ce soir-là, la communauté francophone avait répondu présente en grand nombre. On reconnaissait des personnalités influentes du monde des arts, de l’éducation, des médias et du gouvernement. À l’occasion de la Semaine de la Francophonie, il était opportun de tenter de trouver une définition de la francophonie. En présence d’un échantillon si divers et représentatif de la communauté, la tentation de poser la fameuse question devint irrésistible.

« C’est quoi selon vous la francophonie? » Beaucoup furent questionnés. Tous s’y attelèrent avec enthousiasme et humour. Francophones des quatre coins du monde, de l’Ontario à la Bretagne en passant par le Québec, Paris, la Belgique, la Suisse et le Cambodge, tous y allèrent de leur contribution. Qu’il soit black, blanc ou beur, le francophone ou francophile a sa propre définition. Peu importe qu’il soit en couple, célibataire, homo ou hétéro, il a sa petite idée sur la question. Jeune stagiaire français, sénateur des Français à l’étranger, actrice, universitaire, organisateur de festival, éducatrice, défenseur des droits d’une minorité, styliste, employée consulaire ou tout simplement touriste, chacun y mit du sien avec entrain. 

On citera en premier les pragmatiques, ceux qui estiment qu’être francophone est de partager une langue et une culture. L’attachement à une langue que l’on trouve belle et riche ressortit d’ailleurs rapidement. Impossible de fonctionner en français avec seulement 200 mots, affirmait une des personnes interrogées. Pour eux, parler français est un véritable plaisir. Bon nombre estiment que la francophonie doit englober les francophiles, eux qui ont fait le choix exprès de parler français. Comment ne pas être ému en entendant le directeur du Goethe Institute s’exprimer dans un français parfait?

Être francophone signifie pour certains un art de vivre, un comportement et des valeurs bien particulières. Aimer manger et porter ce qui est beau, donner franchement son opinion, parler aussi bien de philosophie que de littérature représentent pour eux une « façon d’être » bien francophone. Une des personnes affirmait que le francophone adhère facilement à l’humanisme et l’universalisme, deux valeurs qui selon lui le distingue de l’anglophone. Ce dernier étant perçu comme étant plus pragmatique. 

Tout naturellement, les Franco-Torontois ont une vision plurielle de la francophonie. Un Sénégalais, un Québécois ou un Saint-Pierrais a un accent et une culture qui lui sont propres. La francophonie revient en quelque sorte à une forme de multiculturalisme. Et la France dans tout ça? « Ben, la France fait bien évidemment partie de la francophonie », faisait remarquer un de ces Torontois.

D’autres y voient un combat. Vivre en français dans un environnement minoritaire nécessite des efforts constants. Pour certains, il a suffi qu’ils se retrouvent en milieu minoritaire pour voir naître en eux une âme de militant. Faire lever les enfants plus tôt pour qu’ils se rendent à une école plus éloignée que celle du quartier représente le sacrifice quotidien effectué par les familles francophones de Toronto.

Pour finir, c’est le cœur qui prédomine. Pour toute réponse, l’un d’entre eux se contenta de placer sa main sur le coin gauche de sa poitrine. Une autre m’interpella de cette façon : « Je te touche, je te regarde dans les yeux et on va prendre un verre! »

On me cita enfin le philosophe roumain Emil Cioran qui déclarait : « On n’habite pas un pays, on habite une langue ». Cette soirée-là en fut un parfait exemple.