Il y a quelques années Kim Thuy recevait un zéro dans un cours de création littéraire. Quelque 20 années plus tard, elle se voyait décernée le Prix du gouverneur général, récompense littéraire la plus prestigieuse au Canada.

On comprend alors le chemin parcouru par la fillette vietnamienne de 10 ans qui mit pour la première fois le pied sur le sol canadien avec sa famille à la fin des années 1970. Après avoir été successivement interprète, avocate et restauratrice, Kim Thuy décide de prendre la plume pour partager le vécu des « boat people » vietnamiens. Ru, son premier roman paru en 2009, relate l’exil des Sud-Vietnamiens vers le Québec à travers le regard d’une fillette.

Le récit reprend en partie des événements tirés de sa propre expérience. Pour un coup d’essai, ce fut un coup de maître puisque Ru reçut des accolades de la part des milieux littéraires canadiens et internationaux.

Récemment invitée par la Bibliothèque publique de Toronto dans le cadre de ses quatre rencontres annuelles avec des auteurs, Kim Thuy a su captiver l’attention de son auditoire, tout autant qu’elle enchante régulièrement ses lecteurs. De retour d’Europe où elle eut l’occasion de présenter son troisième et tout dernier roman Mãn, œuvre qui aborde aussi le thème de l’immigration vietnamienne au Québec, Kim Thuy n’a pas hésité à livrer au nombreux public venu la rencontrer des aspects intimes de sa vie personnelle et de son cheminement en tant qu’auteure.

Kim Thuy parle en connaissance de cause quand elle décrit les conditions de vie éprouvantes que connaît une population opprimée ou les difficultés que rencontrent les immigrants à s’intégrer dans leur pays d’asile. La chute des devises, les privations et l’incertitude de pouvoir faire des études furent le lot habituel de la vie sous le régime communiste vietnamien. Le manque d’argent et une connaissance limitée du français rendirent son intégration parfois difficile dans la société québécoise. Kim Thuy dut à un moment jongler tout à la fois interprétariat, couture et études de droit.

« J’ai obtenu mon diplôme par la peau des fesses! Mon niveau de français n’était parfois pas suffisant. Je dormais de fatigue dans certains cours », finit-elle par avouer. Les efforts portèrent leurs fruits puisqu’elle parvint finalement à se faire embaucher par un célèbre cabinet d’avocats montréalais. Voyant qu’elle semblait être capable de travailler 24 h sur 24, son nouvel employeur l’envoya au Vietnam aux côtés de Marc Lalonde, ancien ministre du gouvernement fédéral, pour rebâtir le système juridique de son pays d’origine. Confrontée à la culture du Nord Vietnam, fort différente de celle du sud d’où sa famille est originaire, Kim Thuy dut là encore s’adapter et persévérer.

On peut être une auteure à succès et commettre des fautes de français. Kim Thuy se remémore avoir encore récemment des hésitations sur le genre de tel ou tel mot devant un parterre d’universitaires en Suède. Elle avoue en toute sincérité écrire par intuition, sans comprendre totalement les figures de style qu’elle emploie. Elle trouve fort drôle le fait que ce sont souvent les critiques littéraires ou bien de simples lecteurs qui lui expliquent son propre style d’écriture. Kim Thuy admet cependant passer de nombreuses heures à réviser trois ou quatre pages pour finalement enlever, changer ou ajouter certains mots.

Selon elle, Ru a mûri lentement dans son ventre pendant 25 ans. « Un roman est comme une pâte qu’on laisse gonfler ou comme un ragoût qui prend du temps et hume la maison », confiait-elle lors d’une récente entrevue.

Mãn semble suivre également la voie de la réussite. À sa sortie au début du mois, le livre a même retenu l’attention de Bernard Pivot et de Laure Adler, deux célèbres journalistes et critiques littéraires français. Du passage de Kim Thuy à Toronto, le public retiendra sa franchise, son humilité et son talent à raconter de façon parfois humoristique les anecdotes qui ont parsemé sa vie d’immigrante au Canada.

Photo : Kim Thuy