Lise Denis

Malgré des changements au recensement pour mieux quantifier les ayants droit, des obstacles freinent encore la construction d’écoles francophones en Ontario. « Ça fait cinq-six ans qu’on envoie les mêmes demandes. On change les chiffres, on s’améliore, on a une présentation, puis on n’a pas réussi à avoir d’école », lance au Devoir Denis Labelle, à la tête du Conseil scolaire public du Nord-Est de l’Ontario.

Un autre établissement, l’école secondaire publique Nipissing Ouest, à Sturgeon Falls, loue depuis plus de 50 ans ses locaux « au système public anglais », affirme celui qui est aussi président de l’Association des conseils scolaires des écoles publiques de l’Ontario (ACÉPO). Cette proximité extrême avec un établissement anglophone refroidit, selon lui, certains élèves à s’inscrire par crainte « d’assimilation ».

En décembre dernier, le Bureau de la responsabilité financière de l’Ontario indiquait qu’en 2021, 59 % des élèves ontariens ayants droit avaient accès à une place dans une école de langue française. Selon des chiffres obtenus par Le Devoir, ce pourcentage descend à 36,8 % lorsqu’on s’intéresse aux ayants droit qui étaient en âge d’être au secondaire, et s’élève à 42,9 % dans le Québec voisin.

Toutefois, il ne faut pas conclure que près de 60 % des ayants droit ont été privés d’un enseignement dans leur langue, ni qu’ils ne sont pas intéressés, nuance la directrice générale de l’ACÉPO, Isabelle Girard. « Tu peux pas dire aux gens : « comment ça se fait que vous venez pas dans nos écoles? » quand ils n’ont pas d’école proche de chez eux ou qu’ils n’ont pas d’école équivalente à celle des anglophones. »

Pour justifier la construction d’une école auprès du gouvernement provincial, il faut prouver qu’il existe, dans une certaine zone géographique, assez d’élèves éligibles à l’éducation de langue française. Les parents peuvent également démontrer leur intérêt.

Or, jusqu’en 2021, les questions du recensement « sous évaluaient » le nombre d’ayants droit, ce qui empêchait les conseils scolaires d’obtenir des « données probantes » pour convaincre les ministères, rappelle Valérie Morand, directrice générale de la Fédération nationale des conseils scolaires francophones (FNCSF). Et tous s’accordent à dire que les chiffres ont, depuis, augmenté, notamment en raison de l’immigration.

Il est « clair », pour Mme Morand, que de nombreuses personnes « ne connaissent pas leurs droits, ou simplement l’existence des écoles de langue française ».

« 2021, c’est bien, c’est un point de départ. Mais il faut pouvoir suivre cette évolution-là, pour pouvoir faire une planification », ajoute la FNCSF, qui estime que la demande ne montre « aucun signe d’essoufflement », et est encore « souvent systématiquement sous-évaluée », particulièrement au niveau élémentaire. « À partir du moment où on ouvre les portes de l’école, l’école est à pleine capacité. Faut déjà commencer à penser à une expansion ou à des portatives ».

« Au secondaire, c’est un petit peu différent », avance M. Labelle, expliquant que de nombreux jeunes se dirigent à cette étape de leur parcours scolaire vers des établissements anglophones, dotés d’une plus grande variété d’ateliers, ou simplement plus proches de leur domicile.

Malgré cela, la demande pour une éducation en français ne se tarit pas, selon les deux organisations consultées par Le Devoir.

Depuis 1998, l’ACÉPO a connu une « croissance de 110 susceptibles de bénéficier d’une éducation en langue française sont à distance de marche (c’est-à-dire à moins de deux kilomètres) d’une école du système d’éducation en langue française ».

L’ACSAQ affirme toutefois que ses élèves ne se dirigent pas vers le système francophone lorsqu’ils arrivent au secondaire, et « se tournent plutôt », à Montréal, « vers le réseau privé » anglophone. Mais s’ils font ce choix, « ce n’est pas parce que les écoles sont pleines ».

Source : La Presse canadienne / Ce reportage bénéficie du soutien de l’Initiative de journalisme local, financée par le gouvernement du Canada.