Jean-François Gérard
« Souvent un livre, on le regarde ouvert ou de face, comme une nature morte ». Au début des années 2000, l’artiste québécois Paul Béliveau reste intrigué par un bel ouvrage sur Napoléon, y compris la tranche. C’est le début d’un déclic d’inspiration et il se met à traiter le livre « comme une pièce d’anatomie ». Ainsi est née une nouvelle phase de son travail depuis une quinzaine d’années et notamment la série Vanitas, depuis 2010. « Le livre est un objet de vanité », explique le peintre. Une sélection d’œuvres est à découvrir à la galerie Thompson Landry, dans le quartier de La Distillerie.
Initialement pleines, ces bibliothèques fantasmées et colorées ont laissé avec le temps place à des espaces vides, ressemblant davantage à une vraie étagère. La plupart des ouvrages portent le nom d’auteurs ou des sujets réels (Margaret Atwood, Andy Warhol, Vassily Kandinsky, Jean-Michel Basquiat, Edward Hopper, etc.) mais les couleurs, les titres ou le graphisme sont inventés, « dans 70, voire 90 % des cas », pour besoins de la toile. Il s’agit souvent de clins d’œil à des mouvements artistiques, que ce soit dans la musique, la littérature, la peinture, etc. Ou parfois, c’est une couleur qui va être déclinée ou un thème tels les oiseaux.
Toujours autour du livre, Paul Béliveau a développé une série plus sombre avec Autodafés, une référence aux livres brûlés par les nazis dans les années 1930. « Chaque tableau a une histoire », dit-il au sujet des toiles qui arborent des pages noircies par les flammes, mais dont on peut encore distinguer quelques mots. Paul Béliveau pointe qu’à l’époque des autodafés, ce sont notamment les auteurs qui avaient écrit contre la guerre qui ont vu leurs écrits jetés au feu.
« C’est encore un sujet actuel, même si on ne brûle plus, avec la droite et l’extrême-droite qui veulent interdire des œuvres », estime Paul Béliveau. Sur l’un des tableaux plus récents, la mention « The art of Protest » et un graffiti pacifique de Banksy évoquent le conflit ukrainien.
Une série plus récente, initiée en 2021, porte le nom de Suite Morandi en hommage aux techniques de Giorgio Morandi. Sur la toile présentée à Toronto, les livres sont empilés grâce à un équilibre précaire, à la façon de dominos, épurés de toute inscription avec des couleurs plus pastel.
D’autres œuvres de Paul Béliveau accompagnent cette exposition. On retrouve des tableaux verticaux d’une série intitulée Cantus, qui superposent des éléments plus poétiques. Au centre de la galerie, deux tableaux d’une série Nightwatch se répondent en se tournant le dos.
Ici, l’artiste s’inspire du clair-obscur de Rembrandt et son tableau La Ronde de nuit. Les lévriers blancs qui jaillissent de l’obscurité évoquent les ruines des villes syriennes Homs et Alep. Une autre référence à une guerre moderne. Le travail de Paul Béliveau est présenté à la galerie jusqu’au dimanche 11 juin.
Photo : Paul Béliveau