Le Musée Aga Khan de Toronto a ouvert ses portes en 2014 et a pour raison d’être de faire découvrir l’histoire et la culture des nations musulmanes d’hier à aujourd’hui. De par la variété de ses artéfacts, l’exposition permanente, bilingue, du premier étage offre d’ailleurs un panorama impressionnant des 14 siècles d’existence de l’Islam. Les objets qui y sont présentés, aussi délicats soient-il, ont jusqu’à 1000 ans d’histoire et l’ensemble de la collection permet au visiteur de voyager de l’Afrique du Nord à l’Asie centrale, de l’Arabie à la vallée de l’Indus, etc.

Le deuxième étage du musée est consacré aux expositions temporaires et, jusqu’au 2 juillet, c’est au tour du califat des Fatimides d’être mis en vedette par l’institution. De 909 à 1171, cet empire existera à l’intérieur de frontières mouvantes mais qui s’étireront, à son apogée, de l’Algérie à l’Arabie saoudite actuelles, englobant également le Levant et même la Sicile. Peu après la conquête de l’Égypte, en 969, la capitale sera déménagée au Caire et l’exposition consacre d’ailleurs beaucoup de place à la dimension égyptienne dans la culture et l’histoire de ce califat.

Quant au terme de « califat », rappelons-le, il réfère au territoire sous l’autorité d’un calife, nom donné à des chefs de communauté musulmane prétendant au titre de successeur de Mahomet, le prophète de l’Islam. C’est ainsi que le nom de « Fatimides » par lequel cette dynastie est désignée, dérive de Fatima, la fille de Mahomet, de laquelle ces souverains se disaient les descendants. Autre détail qui n’est pas anodin, les Fatimides appartenaient à une petite dénomination musulmane, l’ismaélisme, qui existe toujours et dont le guide spirituel est aujourd’hui Karim Al-Hussaini qui, de par cette fonction, porte le titre d’Aga Khan. C’est ce leader religieux qui, entre autres initiatives, a fondé ce désormais célèbre musée torontois.

L’historien Assadullah Souren Melikian-Chirvani est le curateur de l’exposition. L’ismaélisme est, selon lui, un facteur expliquant que les Fatimides se sont d’abord vus comme des dirigeants spirituels plutôt que politiques. Le terme d’« empire » serait même impropre pour décrire ce qui a constitué leur pouvoir.

L’ismaélisme explique également l’ouverture d’esprit qui a caractérisé la dynastie des Fatimides pour deux raisons. D’abord, parce que leurs coreligionnaires formaient une minuscule minorité dans une population elle-même morcelée au plan culturel et religieux et qu’il valait mieux gouverner avec libéralité. Ensuite, parce que l’ismaélisme constitue une dénomination dont les préceptes sont aux antipodes du dogmatisme : « Elle considère que les degrés de la connaissance sont relatifs, rappelle M. Melikian-Chirvani. Si vous avez cette conception de la connaissance, vous êtes par nature un relativiste. »

L’exposition sur les Fatimides regroupe environ 90 artéfacts faits de cristal, de bronze, de marbre, d’ivoire, etc. Il s’agit d’objets décoratifs ou liés intimement au culte musulman de même que des bas-reliefs faisant autrefois partie de bâtiments. L’exposition focalise donc sur les arts plutôt que sur la vie quotidienne des gens de l’époque. La dynastie fatimide s’étant distinguée par ses politiques de tolérance et de cohabitation harmonieuse entre les musulmans, les chrétiens et les juifs, une attention a aussi été accordée dans le choix des artéfacts aux non-musulmans.

Les visiteurs remarqueront les fréquentes représentations de plantes, de fruits, de personnages et d’animaux de toutes sortes. La faune illustrée est souvent associée aux expéditions de chasse de l’élite dirigeante. Assadullah Souren Melikian-Chirvani insiste d’ailleurs sur le fait que, contrairement à une idée reçue, les représentations d’animaux et d’humains ne sont pas unanimement condamnées dans l’Islam et, au contraire, se retrouvent abondamment dans toutes les cultures islamiques.

L’historien voit dans la légèreté des thèmes dépeints une des caractéristiques majeures de l’art sous les Fatimides. Même lorsque des symboles sont empruntés aux autres cultures, le traitement esthétique qui leur est réservé est toujours original, souvent près de la caricature. Les dirigeants n’échappent pas non plus à la liberté de ton des artistes, ce qui laisse supposer un assentiment du pouvoir à la production de leurs oeuvres.

Selon M. Melikian-Chirvani, c’est d’ailleurs l’impression que le visiteur retiendra de l’exposition. « C’est l’art d’une époque extrêmement particulière », commente-t-il, où l’éclectisme des œuvres reflète le caractère d’une société éclatée ayant à son sommet une dynastie issue d’une microscopique minorité.

Le califat des Fatimides est associé à un nom bien connu dans le monde musulman, mais, dans ce cas-ci,  pas pour les bonnes raisons. C’est en effet sous les coups de l’armée de Saladin que l’empire s’écroule et, ses œuvres systématiquement détruites par le conquérant, il n’en reste plus aujourd’hui que des fragments arrachés ça et là aux sables du désert. Une de ses réalisations les plus importantes demeure cependant : la ville du Caire est, pour l’essentiel, une création des Fatimides.

Les visiteurs peuvent s’attendre à passer deux heures dans le musée Aga Khan. Celui-ci offre, en plus de ses expositions, une programmation de conférences et d’activités diverses qui, au-delà de la simple question religieuse, font découvrir tout un pan de l’histoire de l’humanité.

 

PHOTO: Une corne servant à boire. La partie en ivoire date du XIIsiècle et celle en argent est un ajout du XVIIe siècle. La corne fut gravée en Sicile et représente bien l’héritage artistique que les Fatimides ont laissé en Italie.