Le 7 avril dernier, une quarantaine d’internautes se sont rassemblés à l’occasion d’une conférence offerte par le Centre de recherches en éducation franco-ontarienne, une entité relevant de la Faculté d’éducation de l’Université de Toronto. Bien que la recherche universitaire touche souvent à des sujets assez abscons et difficiles d’approche pour le commun des mortels, le thème de la présentation était cette fois susceptible d’intéresser la plupart des francophones.
C’est en effet le rapport qu’entretiennent les enseignants des écoles de langue française avec la culture dont ils sont supposés être une des courroies de transmission qui a intéressé Chantal Fournier, au point d’y consacrer une étude qualitative.
Mme Fournier a récemment soutenu sa thèse de doctorat à l’Université de Toronto et est actuellement à l’emploi de la division de l’éducation en langue française du ministère de l’Éducation de l’Ontario. Par l’entremise d’entrevues approfondies avec plusieurs enseignantes (par simple hasard, aucun homme n’a participé à l’étude) d’âge et d’origine diverses, la chercheuse a voulu savoir comment les membres du personnel scolaire se voient sur le plan professionnel en rapport avec leur identité culturelle. Le sujet n’avait pas été débroussaillé depuis près de 20 ans et il était temps de mettre à jour les connaissances en la matière.
Cela est d’autant plus important que tout le brouhaha politique et administratif autour de la construction identitaire et de la prise en charge des élèves issus de l’immigration et de familles exogames ne pèse pas lourd dans le quotidien des enseignants. Ceux-ci doivent s’adapter à la réalité de leur classe et faire preuve d’imagination, souvent au cas par cas, pour intéresser les élèves, et le français n’est pas la plus facile des matières à cet égard.
L’enseignant n’a donc d’autre choix que de suivre un parcours complexe, navigant entre sa propre identité et les politiques officielles du système d’éducation. Comme Mme Fournier l’a relevé, il y a des rapports personnels très divers au français.
Ainsi, pour certains enseignants issus de l’immigration, il s’agit de la langue du colonisateur. Or, si le français était périphérique à leur identité dans leur pays d’origine, il est devenu ici leur bouée de sauvetage professionnel et social. C’est ce qu’a illustré le témoignage d’une participante née au Cameroun, qui a expliqué que c’est au Canada qu’elle a commencé à prendre conscience de son « identité francophone ».
Pour d’autres, la langue française a toujours fait corps avec leur identité et s’inscrit dans la continuité : « Une culture, c’est quelque chose que tu vis, a raconté une participante Canadienne française. Tu sais, c’est quelque chose que tu manges, c’est quelque chose que tu célèbres, c’est quelque chose que… c’est tout ça, une culture. C’est quelque chose que tu pleures. Tu sais, ça vient chercher tout l’affectif. Si c’est pas vécu, une culture, ce n’est pas une culture ».
Chantal Fournier en est arrivée à deux constats : les enseignants se voient davantage comme des vecteurs de transmission des savoirs et leur conception de la culture est généralement multiculturelle, folklorique et centrée sur les artistes et une poignée d’événements historiques.
Cette simplification de la notion de culture est en partie attribuable aux origines diverses des enseignants francophones. Bien peu sont nés en Ontario et plusieurs se sentent dépourvus lorsque vient le temps de promouvoir la culture franco-ontarienne qu’ils connaissent mal.
Une constante a néanmoins coloré l’ensemble des témoignages : « Toutes les participantes ont exprimé qu’elles ont un rôle important à jouer pour la transmission de la langue française », a fait remarquer Mme Fournier. Cette variable est d’autant plus importante que, pour bon nombre d’élèves, le français n’est pas la langue parlée à la maison.
Quel avenir pour l’enseignement francophone en Ontario? Comme l’a relevé la conférencière, les identités sont en constante mutation. Le français continuera de faire partie du « paysage » ontarien mais sous des formes que l’on ne peut guère prédire.
PHOTO – Chantal Fournier