En ce dimanche après-midi baigné de soleil, la Société d’histoire de Toronto proposait la deuxième partie de Le Toronto de nos écrivains, une promenade littéraire au centre-ville pour retracer les pas de quelques écrivains franco-ontariens. Animé par l’écrivain Paul-François Sylvestre et Louise Pellerin, ce septième « historitour » de la saison proposait de se balader entre l’église du Sacré-Cœur et la station de métro Wellesley, découvrant en même temps le Toronto de ceux qui aiment manier le verbe dans la langue de Molière. Des extraits de textes furent ainsi lus par Guy Mignault, directeur du Théâtre français de Toronto. « Toronto est tellement grandiose! J’ai la tête qui tourne à force de faire la girouette. » Ainsi s’exclame un personnage du roman de Mireillle Messier, Déclic à Toronto. Cet extrait partagé sur les marches de l’église Sacré-Cœur, siège d’une des deux paroisses francophones de Toronto, montre combien la Ville reine s’est étendue et s’est diversifiée depuis ses débuts.
« Toronto m’habite comme une vieille catin ». Mariel O’Neill-Karch fait cet aveu dans son poème Ville Reine / Hog Town. Venue en voisine, l’écrivaine put réentendre son poème à l’ombre des arbres du parc Allan Gardens. Ces mots résonnent avec insistance pour peut-être la plus Torontoise d’entre tous. Ayant passé pratiquement toute sa vie à Toronto, nul autre n’en connaît mieux les moindres recoins, la rue Yonge et ses magasins de babioles ou encore Chic-Chouville (Cabbagetown) où les riches ont chassé les pauvres.
« Moi, je n’avais aucun sens de la réalité. Petit, je m’imaginais que tout le monde habitait des maisons de vingt-cinq pièces et parlait français à Toronto. » Voilà ce que déclarait le comédien-chanteur Robert Godin lors d’une entrevue radiophonique en 1994. Ces mots rapportés devant le 354 de la rue Jarvis, adresse à laquelle se trouvait CJBC en 1964, première station de radio entièrement francophone à Toronto, ne manquent pas de faire sourire encore aujourd’hui.
« Ça n’a pas d’allure. Vous parlez presque aussi bien que nous autres. Il n’y a pas de Français à Toronto, enfin pas de vrais. » Une Montréalaise fait cette déclaration sans aucune gêne à un artiste torontois dans le roman de Pierre Karch, Noëlle à Cuba. Propos qui ne manquèrent pas de faire rire aux éclats la vingtaine de participants lors d’une pause devant un autre bâtiment qui abrita autrefois CJBC, à l’angle des rues Carlton et Mutual et site aujourd’hui du Collège français. Usurpateurs sont les Torontois dans le roman de Christian Bode, La Nuit du rédacteur. Ils vont même aller jusqu’à se permettre de publier un manuel pratique de rédaction en français!
« Le port du short et du t-shirt n’a rien à voir avec les 28 °C; il a pour objectif de mettre en évidence les pectoraux bien sculptés, les abdomens en planche à laver, les cuisses athlétiques, les fesses rondes. » Dans cet extrait de 69, rue de la Luxure de Paul-François Sylvestre, un couple d’un certain âge ne peut s’empêcher de faire un tel constat lors d’une visite du quartier gai de Toronto. Dans une nouvelle intitulée Station Wellesley, Paul-François Sylvestre fait encore référence à ce même quartier gai. Jean-Marc et Emmanuel s’assoient sur un banc près de la statue d’Alexander Wood, juge municipal qui dû fuir Toronto pendant quelque temps, suite à une sordide histoire de mœurs à la fin du XVIIIe siècle. Jean-Marc se questionne alors sur le fait d’être doublement minoritaire, franco-ontarien et gai.
Si Toronto semblait habiter en certains, pour d’autres Toronto ne les habite résolument pas. « Tout se définit selon des contours et des angles légèrement obscurcis par des ombres [ ], j’habite ce lieu mais il ne m’habite pas ». Dans son poème À tue-tête, Toronto demeure opaque et étranger à Paul Savoie. Il en va de même pour Roseann Runte. Dans Les blues de la canicule, Toronto apparaît ainsi : « Il fait plus gris que gris…Seuls les chiens et les Anglais se promènent ».
D’autres enfin, préfèrent rire que dépérir. « La bête avait été aperçue plusieurs fois mais toujours à des stations de métro différentes ». Bête, pas bête, ce conte humoristique de Sébastien Bertrand relate la curieuse apparition d’une créature mystérieuse dans une station de métro, peut-être même à la station Wellesley, terminus de la balade. À l’horizon, on aperçoit les bâtiments du parlement provincial, là où comme le décrit Philippe Garigue dans son poème Visite à Queen’s Park : « La réalité se cache […] où l’on décide âprement dans un débat télévisé, de stratégies, de taxes et d’élections. »
Pour plus de renseignements au sujet des visites guidées organisées par la Société d’histoire de Toronto : www.sht.ca.
Photo : Les participants devant l’église du Sacré-Coeur