Il fait l’actualité culturelle francophone du moment! Après le dévoilement récent de son film Sur la corde raide, Claude Guilmain, le cofondateur du Théâtre La Tangente de Toronto, documentariste et metteur en scène se coiffe cette fois de la casquette d’auteur et publie enfin, sept an après le premier acte, la trilogie AmericanDream.ca aux éditions L’Interligne. À l’occasion, nous l’avons interviewé afin qu’il nous livre l’entre les lignes de son livre. Mais avant cela, nous l’avons lu, bien entendu.   

Soufiane Chakkouche (SC) : Tout d’abord, pourquoi ce titre aux allures d’une adresse de site web ?

Claude Guilmain (CG) : Je voulais d’entrée de jeu, par le biais du titre, qu’on comprenne qu’il s’agit dans la pièce du rêve américain vu à travers les yeux de canadiens, et plus précisément d’une famille canadienne. Dans ce sens, le « .ca » est très important.

SC : Vous avez travaillé sur ce projet plus de sept ans, c’est long! Pourquoi cela a pris autant de temps ? Est-ce que vous avez attendu d’autres faits de l’Histoire pour qu’ils viennent à la rescousse de l’histoire, à l’instar des élections américaines de 2016 que vous évoquez subtilement dans votre pièce ?

CG : Cela s’explique plutôt par ma méthode de travail. Pour ce projet en particulier, je l’avais commencé sans le moindre but ou objectif final, j’ai juste commencé à écrire. Il est vrai que plusieurs faits de la grande histoire sont venus nourrir mon texte au fur et à mesure, mais ce n’était pas calculé à l’avance.

La première partie de la pièce a été écrite en 2013, alors que la seconde partie a été écrite entre 2013 et 2015, d’ailleurs cela coïncidait avec le 50e anniversaire de la mort de Kennedy que j’évoque dans la pièce, avec l’équipe, on s’est déplacé pour l’occasion à Dallas et cette expérience s’est traduite directement dans les paroles du personnage d’Alain, mais encore une fois, tout cela n’était pas planifié.

Par contre il s’est écoulé quatre ans entre la partie 2 et la partie 3, c’est dû au fait que les évènements socio-historiques se bousculaient tellement vite en cette période qu’il fallait constamment recalibrer le texte pour avoir une conclusion cohérente à la trilogie. Je vous épargne la question des moyens restreints octroyés au théâtre franco-ontarien comme explication de ce « retard ».

SC : Le personnage de Brigitte est un anti-guerre convaincu, un peu comme vous! En revanche, Émilie, la sœur de Brigitte, est partie deux fois faire la guerre en Afghanistan. Votre demi-frère s’est engagé également deux fois dans cette même guerre, est-ce que le fameux dialogue entre les deux sœurs dans le livre ne représente pas, en quelque sorte, la discussion que vous auriez voulu avoir avec votre demi-frère et que vous n’avez jamais eue ?

CG : Je pense que le personnage de Brigitte est celui qui me représente le mieux. Par contre, s’agissant de mon frère, on a eu deux parcours complètement différents. Au moment où il s’était engagé dans les forces armées, on n’avait pas un rapport direct. Vous savez, je n’ai rien contre le soldat sur le terrain. Ce qui me dérange dans la guerre, c’est la politique de la guerre. En revanche, l’expérience commune de l’Afghanistan qu’on a eu, mon frère et moi, chacun de son côté, c’est quelque chose qu’on partage tous les deux.

SC : Vous utilisez le bilinguisme dans votre livre, à savoir le français et l’anglais. Est-ce que c’est dans le but de toucher un plus large public ?

CG : Je reçois beaucoup de commentaires par rapport à ce choix. J’ai même été sévèrement critiqué pour ce texte par un autre auteur franco-ontarien que je ne nommerai pas. J’ai gagné le prix littéraire du salon du livre de Toronto en 2016 pour les deux premières parties de cette pièce, et cette personne a dit que je ne le méritais pas parce qu’il y avait 41 % d’anglais dans mon texte. Il a même fait les comptes (rire). Plus sérieusement, non!

Le choix du bilinguisme dans mon texte n’avait pas pour objectif de toucher un large public, c’est tout simplement parce que l’histoire me l’imposait, et qu’un des personnages est anglophone. Vous remarquerez qu’il n’y a aucune revendication ou message politique dans le livre en lien avec la langue. Je pense qu’avec la diversité de notre société actuelle, les textes dramaturgiques vont être obligés d’être multilingues. Ici, en Ontario, la réalité de la vie quotidienne est bilingue.

SC : Vous dites à la fin du livre via la bouche de Brigitte, qui vous ressemble donc, que : « Souvent nos drames personnels et les drames mondiaux s’entrecroisent, et c’est là qu’il faut faire attention de ne pas juger trop sévèrement. On n’est peut-être pas aussi innocents qu’on aimerait le croire. » Est-ce qu’on peut considérer ces mots comme étant la morale cette trilogie ?  

CG : Je ne sais pas s’il s’agit de la morale de la pièce, mais vous avez raison de soulever ce point. Le monde a parfois tendance à partir vite au jugement. D’ailleurs, quelques personnages le font tout au long de la pièce.

Joseph par exemple, le grand-père, il est à lui seul une métaphore du Canada. À travers sa présence en période de troubles au Guatemala, en Iran et au Vietnam, c’est un peu le Canada qui était là. Quand le Canada dit qu’il est blanc comme sa neige dans les conflits qui font l’actualité, il faut prendre cela avec des pincettes, car bien souvent, il se donne le beau rôle, alors que la réalité sur le terrain est toute autre.

Au Vietnam par exemple, l’industrie canadienne a fourni la poudre à canon qui servait pour les obus et les cartouches employés contre les Vietnamiens. Il ne faut pas se leurrer, le Canada a maintes fois profité de ces guerres-là.

Pour être bref, on peut être fiers de nous, mais des fois il faut faire attention parce qu’« on n’est peut-être pas aussi innocents qu’on aimerait le croire ».

SOURCE: Soufiane Chakkouche

PHOTO: Claude Guilmain