Le Musée des Beaux-Arts de l’Ontario fait place, du 18 février au 6 mai, à l’exposition bilingue Mitchell-Riopelle, un couple dans la démesure qui retrace le parcours et le destin croisé de deux géants de la peinture abstraite contemporaine, l’Américaine Joan Mitchell et le Canadien Jean-Paul Riopelle.

Née à Chicago d’une mère poète et d’un père docteur, Joan Mitchell s’est véritablement révélée dans les années 1950 à New York avec ses œuvres expressionnistes abstraites, richement colorées et peintes sur des toiles monumentales avec ses propres pigments. « Elle a utilisé une large gamme de pinceaux et d’autres instruments pour les appliquer sur la toile; et elle marchait d’avant en arrière devant ses œuvres, ajoutant une touche ici, superposant plus de peinture là, jusqu’à ce qu’elle atteigne l’équilibre parfait », indique Kenneth Brummel, conservateur du musée torontois.

Joan Mitchell, Piano mécanique, 1958. Oil on canvas. 198.1 x 325.1 cm. National Gallery of Art, Washington. Gift of Addie and Sidney Yates 1996.142.1 © Estate of Joan Mitchell

C’est en 1955 qu’elle rencontre, à Paris, Jean-Paul Riopelle, élève de Paul-Émile Borduas, chef de file du groupe des Automatistes. À cette période, l’art du Montréalais est radicalement abstrait et très physique. « Riopelle mettait des tubes de peinture entre ses doigts, pressait le pigment sur sa toile, puis ratisserait le matériau avec des couteaux à palette et des truelles. Il a peignait comme s’il disposait d’un approvisionnement sans fin dans son studio », sourit M. Brummel. Plus tard dans sa vie, son travail s’est enraciné davantage au Canada : il s’est inspiré des peuples autochtones du pays, du paysage désolé du Grand Nord et de personnalités canadiennes uniques comme Grey Owl. »

De leur rencontre naîtra une histoire passionnelle au long cours : 24 ans de dialogue artistique et d’influences, entre respect et admiration, que le musée fait revivre au public à travers plus de 50 œuvres. Le conservateur de l’exposition, Michel Martin, a passé trois ans à sélectionner les œuvres s’attachant à suivre les convergences et les divergences stylistiques entre les deux artistes que leur relation a développées. Girolata (1964) de Mitchell et Grand Triptych (1964) de Riopelle en sont les deux œuvres majeures.

Jean-Paul Riopelle, Landing, 1958. Oil on canvas. 200 x 375 cm. Musée d’art contemporain de Montréal. © Estate of Jean Paul Riopelle / SODRAC (2017) Photo: Richard Max Tremblay

« Leur production prodigieuse ainsi que leur talent fou en font des artistes légendaires, affirme Kenneth Brummel. Les deux artistes ont peint pour la majorité de leur vie, et ont dû apprendre et maîtriser plusieurs styles : cubisme, surréalisme, expressionnisme abstrait, art informel en France.  Pour rester pertinents, ils devaient compléter avec des styles plus récents tels que le Pop Art, ce qui pourrait expliquer pourquoi leurs toiles grandissaient et pourquoi les deux artistes peignaient des diptyques, des triptyques et des polyptyques. Leur croyance dans la peinture, dans son pouvoir de communiquer des émotions et des sensations et d’obtenir des réponses puissantes de la part du public, rend ce couple incontournable. Comme Jackson Pollock et Lee Krasner, ils ont vécu pour peindre. »

Et dans la démesure! Au sens propre comme au sens figuré, la monumentalité de leurs œuvres est allée crescendo. De même que la grande quantité de peinture que les deux artistes utilisaient pour créer une image ou encore l’engagement indéfectible des deux artistes envers l’art abstrait. « Tout à propos de ce couple, surtout de leur peinture, était excessif, insiste le conservateur. C’est pourquoi leur art est si exceptionnel. Ils n’ont rien pris, surtout la peinture, avec modération. »

Jean Paul Riopelle, Large Triptych, 1964. Oil on canvas, 276.4 x 643.7 cm. Hirshhorn Museum and Sculpture Garden, Smithsonian Institution, Washington, DC. Gift of Joseph H. Hirshhorn, 1966 (66.4268) © Estate of Jean Paul Riopelle / SODRAC (2018). Photo: HMSG, Smithsonian Institution, Washington, DC, Cathy Carve

 

Photo (couverture): Joan Mitchell et Jean-Paul Riopelle à Chicago en 1957.
Private collection © Estate of Jean Paul Riopelle / SODRAC (2017)