Traiter d’un sujet aussi complexe et épineux qu’une enfance passée au milieu des armes, de la drogue et des violences sexuelles n’est jamais simple. Pourtant, la dramaturge québécoise Suzanne Lebeau a relevé le défi avec détermination et fut largement récompensée pour son travail. Spécialisée dans l’écriture de pièces pour enfants, avec déjà une trentaine d’œuvres à son actif, cette auteure de 67 ans coucha sur le papier Le bruit des os qui craquent en 2006 et reçut notamment le Prix du Gouverneur général en 2010 pour cette réalisation. Le succès rencontré lui a valu une traduction en sept langues et, cette année, c’est au tour de l’adaptation en anglais qui devrait permettre d’étendre considérablement sa zone d’influence.
Présentée au théâtre Passe Muraille dans la langue de Shakespeare d’abord, jusqu’au 28 février, puis en français du 3 au 7 mars, Le bruit des os qui craquent intrigue, horrifie, attendrit et questionne autant sur cette réalité révoltante que sur le décalage entre la vie des jeunes canadiens et celle des enfants en zones de conflit. L’actualité étant malheureusement riche en matière de guerres en tous genres impliquant les plus vulnérables, cette interprétation du metteur en scène John Van Burek ne pouvait être plus à propos.
Cette pièce raconte l’histoire d’Elikia, une fillette âgée de 13 ans jouée par Harveen Sandhu, qui fut enrôlée par une faction rebelle d’une contrée dont on ne connaît le nom. À ses côtés, Joseph, 8 ans, dont le rôle est assumé par Caity Quinn. Tous deux tentent de fuir du camp situé en plein milieu de la jungle pour rejoindre la côte. Pour tout bagage, une kalachnikov, ainsi qu’un peu d’eau. Leur périple étale leurs peurs, leurs doutes et l’horreur vécue et à venir.
Massacres, viols, soudards drogués, maladie… Tout un panel de dangers physiques et psychologiques évoqués par les deux principaux protagonistes, au moyen de hurlements constants qui, s’ils reflètent bien toute la gravité du sujet, peuvent devenir agaçants à la longue pour le spectateur.
Suivre les pérégrinations des deux personnages est une souffrance de tous les instants, même si de rares traits d’humour viennent parfois apporter un peu d’oxygène à cette trame noire. Patricia Cano tient quant à elle le troisième et dernier rôle qui est celui de l’infirmière en chef Angélina, que l’on observe en train de restituer l’histoire des deux compères à une commission soucieuse du cas des enfants soldats. Le public se voit attribuer le rôle de membres de ladite commission, de témoins indirects de l’enfer.
Lors de la représentation du 18 février, une exposition photographique est venue conclure la soirée. De nombreux clichés de réels enfants soldats au Moyen-Orient, en Asie du Sud-Est ainsi qu’en Afrique étaient accrochés aux murs. Un retour brutal à la réalité qui rappelle à toutes les personnes présentes que le spectacle auquel elles viennent d’assister ne se déroule pas que sur les planches, mais bel et bien à quelques milliers de kilomètres de chez eux. Avec l’aggravation des conflits en Lybie, Iraq, Syrie et Nigeria, le récit d’Elikia trouve un écho important dans un contexte international qui voit l’émergence de nouvelles brigades de bambins armés jusqu’aux dents et drogués jusqu’aux pupilles par des « seigneurs de guerre » sans scrupules ni avenir.
Photo: Harveen Sandhu (à gauche) et Caity Quinn, comédiens dans la pièce Le bruit des os qui craquent.