Au terme d’une série de consultations marathons, Dyane Adam, la présidente du Conseil de planification de la création d’une université de langue française dans le centre-sud-ouest de l’Ontario, doit rendre son rapport à la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Formation professionnelle dans deux mois. S’appuyant sur une étude indépendante commandée par le gouvernement et les besoins de la communauté francophone, le document contiendra des recommandations précises sur les programmes, la pédagogie, le financement, la gouvernance, le rayonnement et l’emplacement de la future structure.
« Nous avons entendu les régions de Peel, Durham, Oshawa, Hamilton, Niagara… Il nous reste un dernier tour de table à London et Toronto. De nombreux besoins ont été portés à notre connaissance sur le plan de formation et d’acquisition des connaissances dans les domaines de la santé, de la petite enfance et de la finance, par exemple, mais aussi des propositions innovantes liées au leadership et aux programmes portant sur le marché du travail. Nos sous-comités ont approfondi chaque thématique afin d’éclairer au mieux les choix du gouvernement. Nous attendons dans le même temps la version définitive de l’étude de marché de la société Malatest qui nous guidera dans la finalisation de notre modélisation », explique l’ex-commissaire aux Langues officielles du Canada.
Grande attente des étudiants
La communauté francophone attend beaucoup de ce rapport, à commencer par les étudiants, non représentés au sein du Conseil de planification. « Nous avons un besoin urgent d’accès à une gamme complète de services et de programmes en français au sein d’un milieu de vie culturel et académique, gouverné de A à Z en français, avance Alain Dupuis. Selon le président du Regroupement des étudiants franco-ontariens (RÉFO), il est capital que les étudiants aient voix au chapitre au sein de la future gouvernance afin que ces programmes répondent davantage à leurs attentes. On ne peut plus se permettre de voir des étudiants s’assimiler dans le postsecondaire anglophone ou déménager pour poursuivre leurs études ailleurs. »
Avec seulement 22 % des programmes dispensés en français dans les établissements bilingues et à l’Université de Hearst, l’Ontario a pris un sérieux retard sur ses voisins du Manitoba et du Nouveau-Brunswick qui jouissent de leur propre université en langue française depuis de nombreuses années. Les anglophones du Québec sont, eux aussi, bien mieux lotis.
Une affiliation pour commencer
Le Conseil de planification semble toutefois s’orienter vers une université affiliée à une « grande sœur » bilingue ou anglophone. « Ce parrainage transitoire d’environ trois à cinq ans est un passage obligé pour asseoir la crédibilité des diplômes et s’appuyer sur l’expertise existante, justifie Dyane Adam. On ne peut pas partir de rien. Une fois consolidée, l’université pourra affiner sa stratégie de développement, élargir la carte de ses programmes et son campus. »
Un campus qui a de grandes chances d’élire domicile à Toronto ou dans sa très proche périphérie, sur un site partagé avec le Collège Boréal, dont le bail actuel arrive à terme en 2020 et qui compte se relocaliser pour s’agrandir. C’est une perspective que défend son président Daniel Giroux : « La future université devra se situer sur un point central, adopter un solide plan marketing et prendre en compte les problématiques du transport, du logement et des services environnants », affirme-t-il.
Formation, recherche et services
Parmi ces services, l’idée d’y installer une Maison de la francophonie, regroupant sous son toit plusieurs organismes culturels et de développement économique, fait son chemin. En édifiant ce grand pôle où se côtoieraient formation, recherche et services, la Province pourrait réaliser des synergies intéressantes et donner du corps à son engagement envers la francophonie. L’articulation collège-université serait aussi propice à l’élaboration de doubles diplômes, faciliterait les partenariats avec les entreprises et renforcerait l’attractivité de la jeune institution.
Un des enjeux réside justement dans l’ouverture et le rayonnement à l’international. Pour remplir ses amphithéâtres de francophones venus de toute la province, mais aussi du monde entier, et ainsi pérenniser son financement, l’université pourra compter sur son environnement bilingue unique, au contact d’une grande ville d’affaires multiculturelle. Cette attractivité pourrait se révéler, du même coup, un levier stratégique pour le gouvernement dans la quête de son ambitieux objectif d’immigration francophone fixé à 5 %, si ces futurs actifs s’installaient durablement sur le territoire.
Un rapport rendu public
Très active sur le sujet, la communauté de Peel s’est positionnée pour accueillir l’université sur son territoire, lors de la phase de concertation début avril : « Toronto est saturé, le coût des logements est exorbitant et l’université devant être un outil de développement économique, la logique devrait être qu’on l’implante hors du centre qui n’a pas besoin de coup de pouce en la matière, contrairement à sa périphérie », selon les francophones de Peel qui vont adresser dans les prochains jours une lettre commune à Mme Adam pour vanter les mérites de cette candidature.
Attendu fin juin par la ministre Deb Matthews, le rapport sera rendu public dans la foulée, selon nos informations. Connaîtra-t-il un meilleur sort que les précédents, dans un contexte budgétaire délicat? Le gouvernement, qui ne prévoit aucun financement spécifique de démarrage dans son budget présenté le 27 avril, aurait tout intérêt à sceller le destin de l’université franco-ontarienne avant les élections de juin 2018, d’autant qu’elle fait l’objet d’un consensus au sein de la classe politique et d’une interminable attente au sein de la communauté.
Le RÉFO, la Fédération de la jeunesse franco-ontarienne (FESFO) et l’Assemblée de la Francophonie (AFO) sont « en train d’explorer les différents scénarios et diverses avenues à entreprendre selon le contenu du rapport de Mme Adam, mais surtout, selon ce que le gouvernement voudra en faire, prévient Alain Dupuis. Une chose est certaine : nous allons nous assurer que l’université qu’on nous propose soit gouvernée par et pour les francophones, ait la possibilité de s’étendre partout dans la province et propose aux étudiants une programmation de langue française de classe mondiale. »
Photo : la patience des étudiants franco-ontariens a été mise à lourde épreuve
ces dernières années.