Les possibilités presque infinies qu’offre un genre artistique comme l’abstraction attire les créateurs en quête de liberté visuelle. C’est probablement l’une des raisons qui a poussé l’artiste montréalais Jérôme Nadeau à adopter cette forme d’expression si particulière, qui transporte les spectateurs dans un univers aussi personnel qu’ouvert à l’interprétation. Poétique, tel est le qualificatif le plus approprié pour traiter de ces œuvres aux couleurs chatoyantes et aux traits énigmatiques qui sont exposées à la Gallery 44, située au 41, rue Richmond Ouest, jusqu’au 7 juin.
Les thématiques adoptées par cette âme fertile dans cette exposition n’en sont pas pour autant joyeuses. Intitulée Ruins, elle traite de la disparition, de la désintégration et du déclin par le biais de procédés inédits, chers à l’esprit d’innovation de M. Nadeau. En effet, sa technique fétiche est l’extraction de l’encre et des teintures contenues dans une image imprimée sur papier photo dit chromogène. Celles-ci sont alors réutilisées sur un nouveau support photo chromogène, vierge cette fois. Derrière ce procédé, certes légèrement compliqué, se cache en réalité un concept créatif. Il crée effectivement une image déjà existante, représentant autant le passé que le présent. Chacun y comprendra ce qu’il veut. « J’ai cette idée depuis que je suis au bac, dit-il. Plusieurs choses m’ont inspiré mais surtout la pensée moderne de la peinture des années 50-60. L’idée était de réutiliser cette manière de penser et de l’ajouter au numérique ». Fait amusant, le papier utilisé pour les œuvres exposées à la Gallery 44 n’a pas été traité, ce qui signifie qu’il continue d’évoluer, de changer, de donner vie à l’art.
Reconnaissant que son travail est somme toute très proche de la peinture, il aime à penser que ses productions sont axées sur la culture entre les deux médiums. De plus, les réactions de ses confrères photographes face à ses œuvres ne sont pas toujours claires. « Ce que je fais ressemble un peu à une technique interdite, ajoute Jérôme Nadeau. C’est hybride. »
Le choix de l’abstraction a quant à lui été fait dans le but de déstabiliser le spectateur. « L’abstraction est un standard de la peinture, mais ce qui est intéressant c’est l’aspect de négation, affirme-t-il. Les gens ont toujours la volonté de décoder, à travers un processus de sélection, certaines formes vont leur rappeler telle ou telle chose. Je veux enrayer cela. »
Étudiant à l’université Concordia de Montréal, Jérôme Nadeau est un hyper-actif qui n’a pas peur de s’engager dans des projets d’envergure. L’an dernier, il a effectivement fondé une maison d’édition indépendante, baptisée SOON, qui se spécialise dans la production de livres d’art innovant.
Des idées plein la tête, le jeune artiste fait constamment évoluer son art, qui devient de plus en plus similaire à la peinture. « Je documente mon propre travail de peinture avec la photo. Je copie mes propres gestes. Je refais mes précédentes œuvres, annonce-t-il. Tout est basé sur l’expérimentation. »
Un talent aux multiples facettes qui compte bien apporter sa pierre à l’édifice de l’Art en se focalisant sur la nouveauté.