« Les voyages forment la jeunesse », voilà un précepte bien connu que beaucoup d’étudiants suivent à la lettre aujourd’hui. Conviés par le Centre de recherches en éducation franco-ontarienne (CRÉFO) à un Symposium sur les mobilités : Expériences francophones dans divers contextes minoritaires, une vingtaine d’experts ont cependant fait ressortir les problèmes que rencontrent les étudiants lorsqu’ils veulent étudier à l’étranger. Les étudiants francophones vivant dans un contexte minoritaire au Canada font aussi face à des difficultés bien particulières.

En premier lieu, Vincenzo Cicchelli, maître de conférences à l’Université Paris Descartes, a souligné la débauche d’efforts entrepris par les institutions européennes pour favoriser les échanges et la mobilité des étudiants au sein de la Communauté européenne. Depuis une trentaine d’années, les pouvoirs publics en Europe organisent des séjours linguistiques et culturels à l’étranger pour les jeunes. M. Cichelli pense que l’utilité du voyage comme méthode d’apprentissage est aujourd’hui devenue une obsession. Il souligne à cet égard que ce Bildung (éducation) cosmopolite constitue un des piliers de la construction européenne.

« Cette mobilité est cependant largement inaboutie », conclut cependant M. Cichelli. Il fait remarquer que seulement 1 % des étudiants européens ont participé au programme d’échanges culturels et linguistiques Erasmus depuis sa création en 1987. Il remet en question la démocratisation de ce programme en soulignant qu’il dessert essentiellement les jeunes des classes moyennes. À sa grande surprise, il constate que lorsque ces jeunes reviennent chez eux porteurs des mêmes stéréotypes culturels colportés par leurs ancêtres qui ne voyageaient pas.

« La mobilité ne semble pas être une priorité dans les politiques mises en place pour les jeunes Canadiens », constate Normand Labrie, professeur titulaire à l’Institut d’études pédagogiques de l’Ontario (IEPO) et ancien directeur de CRÉFO. Mis à part quelques programmes comme Jeunesse Canada dans les années 1970, les autorités canadiennes n’investissent pas dans des programmes d’échanges comme leurs partenaires européens. M. Labrie craint aussi qu’en aspirant à une sorte de fusion identitaire, le Canada ne prête pas assez attention aux besoins spécifiques et à l’accueil des jeunes arrivants d’identité non-européenne. Selon lui, le Canada n’est donc pas si altruiste que cela et pratique également une forme d’exclusion à l’égard de certains.

Or, on est frappé par le nombre grandissant d’étudiants étrangers rencontrés lorsqu’on se rend dans une école ou une institution postsecondaire au Canada. Chedly Belkhodja, professeur de science politique à l’Université de Moncton, rapporte qu’environ 50 % de la population estudiantine dans son campus est constituée d’étudiants étrangers. On retrouve cette même tendance dans la plupart des collèges et universités au pays, même dans des régions qui n’attirent traditionnellement pas les gens de l’extérieur. Pour beaucoup de ces étudiants, un séjour universitaire est souvent une première étape vers l’immigration. Bon nombre d’entre eux obtiennent également un permis de travail. Un emploi leur permet de pouvoir payer des frais universitaires bien plus élevés que ceux perçus auprès des étudiants canadiens.

Les participants au symposium semblaient s’accorder à penser que l’accueil réservé aux nouveaux arrivants dans les écoles, les collèges et les universités est une question primordiale.

« Il faut que tout membre du personnel d’une institution éducative se voit comme un ambassadeur », avance Gabriel Osson, conseiller au ministère de l’Éducation de l’Ontario. Sylvie Lamoureux, professeure à l’Université d’Ottawa, abonde dans ce sens en expliquant que ce même personnel a le devoir d’informer les nouveaux arrivants au sujet de la société canadienne mais aussi de connaître quelque peu leur vécu avant qu’ils n’arrivent au Canada.

Les étudiants franco-ontariens ont eux aussi des besoins bien spécifiques. Geneviève Latour, coprésidente du Regroupement étudiant franco-ontarien, estime que la situation est critique en Ontario. Elle rappelle que 70 % des jeunes ne continuent pas leurs études postsecondaires en français. Elle souhaite voir une plus grande facilité pour transférer des crédits d’une institution à une autre, un meilleur accès à plus de programmes et à une prise en main de la gestion des collèges et universités par les francophones eux-mêmes. Geneviève Latour propose qu’un étudiant devrait pouvoir commencer un programme près de chez lui durant son plus jeune âge et pouvoir par la suite suivre des cours plus avancés dans une institution plus éloignée. Elle affirme aussi que la création d’une université franco-ontarienne est un besoin criant.

De telles mesures concrètes permettraient non seulement de s’assurer que les jeunes francophones poursuivent leurs études en français mais aussi de favoriser leurs déplacements au sein de la province et du Canada dans son ensemble.

Photo : Geneviève Latour