Pierre Gregory, président et co-fondateur des Indisciplinés de Toronto, quitte la compagnie de théâtre communautaire.

Exercice peu commun. Ce n’est pas le journaliste qui a sollicité l’interview. Pierre Gregory avait des choses à dire. Une histoire à raconter. Celle d’un fonctionnaire, d’un employé de bureau, qui sort de sa chrysalide, et devient un auteur. Celle d’un metteur en scène du dimanche mangé par son talent. 

Pierre Gregory possède un talent, comme d’autres possèdent un labrador. Il vit avec, il s’en occupe, se laisse parfois dominer, par gentillesse. Pierre Gregory possède une plume, qu’il faut encore affiner, et une vision de ce que la fiction devrait être. 

Nous le retrouvons attablé devant une bière et un journal, dans un petit bar distraitement alternatif de Queen Ouest. Lui, vient de l’est « civilisé ». Mais il aime bien, à l’occasion, s’acoquiner dans des quartiers plus interlopes. Il pose d’abord des questions puis se met à parler des Indisciplinés, cette troupe communautaire, qui a enchaîné les succès populaires, au point de dépasser assez largement les productions professionnelles. Les chiffres de fréquentation sont têtus et parfois cruels. « Notre liste d’envoi compte 950 personnes, c’est énorme! Notre succès est tel que des compagnies professionnelles nous demandent de les appuyer pour leur promotion. Nous avons toujours refusé. » Courtois et correct, il ne donnera pas de noms. 

« Aucune compagnie communautaire au  pays n’a fait aussi bien que nous. Deux représentations par an, des centaines de places vendues! » Lorsqu’il s’agit des Indisciplinés, Pierre Gregory ne fait pas semblant d’être modeste. Des Indisciplinés qu’il quittera donc à l’issue de la prochaine AGA, le 18 juin. « Je suis épaté par ce qu’on a fait en cinq ans, dit-il. Les gens se sont lancés et ont eu beaucoup de plaisir. Cent comédiens sont montés sur scène, 200 personnes ont travaillé dans la production. Nous avons été très mobilisateurs. Le tout entièrement bénévolement, et sans une seule subvention. La vente de billets nous finance. » 

Aujourd’hui, Pierre s’en va confiant. « Je laisse la direction à d’autres, qui sont tout aussi compétents pour mener la troupe. Je n’en serai jamais détaché, mais je n’ai plus à juger de sa direction. »

Mais pourquoi part-il, au fait? Pierre Gregory parle d’ « envie de prendre soin de [lui] », de besoin de temps « pour écrire ». De se libérer d’un « petit carcan, au niveau de la création ». Le carcan du communautaire, dont les exigences, parfois, vont à l’encontre des ambitions artistiques. Le but du théâtre communautaire est autant de rassembler que de créer de la qualité.

 Et la qualité, M. Gregory y tient. Une de ses pièces, La nuit quand les enfants veillent, a reçu le prix O’Neill Karch, et lui a permis de rencontrer des professionnels de l’écriture et du théâtre qui l’ont beaucoup aidé. À l’image de ses autres œuvres, La nuit est un récit extrêmement noir. L’histoire d’une fratrie abusée par un beau-père et qui, devenue adulte et après une séparation, se venge en le séquestrant et en l’assassinant. Un récit en partie autobiographique. « Même si je n’ai jamais tué ni séquestré personne, et que je n’ai pas revu mon frère depuis plus de 30 ans. Cette pièce est un reflet de mon enfance. »

« Je ne veux pas faire de théâtre identitaire, ni chercher le dénominateur commun. Je veux humblement essayer de faire réfléchir les gens », dit-il, sans mâcher ses mots, le regard dans les yeux de son interlocuteur. Cela manque, en Ontario français. « Je veux explorer la noirceur, sans concessions, la mettre à jour. L’être humain est l’espèce la plus sombre, la plus complexe. Quoi de plus intéressant? » Pierre Gregory, malgré sa chemise noire et son teint pâle, reste un homme charmant, agréable, à l’écoute et drôle. Un vrai paradoxe, pour lui dont l’art explore notre part sombre. Après tout, on dit que les plus grands humoristes sont de grands dépressifs. L’inverse doit-être vrai. « J’écris des choses noires, je suis heureux dans la vie », résume celui qui se dit « heureux, comblé, choyé » dans sa vie personnelle.

Le temps passe. Après quelques photos sur le trottoir, Pierre Gregory enfourche sa bicyclette et disparaît en souriant dans le flot de la circulation.