Dans le cadre de son programme de mentorats, qui réunit un artiste expérimenté et un artiste plus jeune, le Labo présente, jusqu’au 30 mars, « Heavy Weather » de Samuel Choisy. Une exposition étonnante et sans concessions, réalisée par un jeune artiste francophone, avec l’aide de Marc Audette.
Une jeune fille en pleine conversation avec ses amies, venues en curieuses à ce vernissage, s’approche dangereusement du cadre d’une des œuvres exposées. Son sac à main frôle la surface de la photographie. Elle ne s’en aperçoit pas. Le photographe, en revanche, se crispe et lâche à son interlocuteur : « Attends un peu, elle me fait un peu flipper, avec son sac à main ». Il s’approche, et au lieu de rabrouer l’imprudente, il s’engage dans une conversation, explique ce qu’il a voulu faire. Avec affabilité, gentillesse et patience, il répond aux questions. Un échange de cartes ponctue la conversation.
« Heavy Weather » est aussi affable et chaleureux que son art est intransigeant et abrupt. Diplômé des beaux-arts de Nantes et de l’école de l’image d’Angoulême, en France, il vit depuis six ans à Toronto, où il est venu « par amour », comme le dit Salomé Viguier-Mourhlon, directrice du Labo. C’est en effet au Labo qu’il expose une série de clichés composés comme des peintures. Sa technique consiste à prendre une photo en prise longue et à demander à son modèle de bouger, créant ainsi un décalage et une forme originale qui n’a rien à voir avec Photoshop, que l’artiste n’utilise pas. « La photographie est le fruit de mon travail et de la performance du modèle », dit-il. Modèle dont on ne voit jamais le visage clairement. « J’ai décidé d’enlever tout signe d’identité, pour me concentrer sur les émotions », poursuit l’artiste.
« Pour cette exposition, j’ai choisi de travailler sur des sentiments et des impressions très littéraires. Des sentiments que l’on peut difficilement représenter en art visuel, tels que la gêne, ou la frustration », explique Samuel Choisy, en prenant pour exemple ce clown triste : sa posture est clairement celle de la gêne, les bras ballant, appuyé contre le mur. Une rougeur (comme la honte?) au niveau de son entrejambe accentue le sentiment de malaise. « C’est un clown qui vient de faire une blague en-dessous de la ceinture, qui est allé trop loin. La rougeur se situe sous la ceinture également. J’ai voulu travailler sur cette sensation. Le personnage ne sait pas comment s’en sortir, s’il peut rebondir… » Sous cet angle-là, il en devient plus sympathique.
D’après Marc Audette, la relation qu’il a eue avec Samuel Choisy n’était pas exactement celle d’un mentor à son élève. « Samuel savait exactement ce qu’il voulait. C’est un artiste mature, accompli. Moi, je lui apportais un regard extérieur, et une écoute », raconte Marc Audette.
Reste que l’art de Samuel Choisy est un art qui ne cherche pas à ménager le spectateur. Il se jette à son visage et lui tambourine dans l’estomac. Impossible de rester insensible à cette esthétique parfois brutale. L’artiste, lui, prétend humblement que sa démarche consiste simplement à « rassembler tous les éléments pour que la magie de l’art opère ». Comme si lui-même n’y était pour rien… « Il y a un moment ou la création nous échappe, où on ne la contrôle plus ».
Photo : Samuel Choisy (à gauche) et Marc Audette