Le milieu de la restauration montréalais s’est rué sur la Ville reine au début de 2022 et il pourrait accroître son empreinte dans les années à venir. Six chaînes – Boustan, Spice Bros, Mandy’s, Sushi Sama, Seau de crabe et Café Dispatch – ont ouvert leur première succursale dans les quatre coins de Toronto l’année dernière. Certains n’ont pas réussi à surmonter le défi de s’établir dans la plus grande ville au pays, mais plusieurs chaînes planifient une expansion.
Karan Bhatti, le cofondateur et propriétaire de Spice Bros, affirme qu’une cinquantaine d’entrepreneurs voulaient obtenir une franchise ontarienne de sa chaîne de restauration rapide indienne.
La première enseigne torontoise a finalement été apposée en janvier 2022 dans le quartier Etobicoke, à l’ouest du centre-ville. Les ventes ont commencé lentement, mais le restaurant gagne en popularité. La chaîne planifie déjà d’inaugurer un nouvel emplacement à Mississauga.
La populaire chaîne de cuisine libanaise Boustan a ouvert sa première succursale torontoise en janvier 2022 dans Scarborough, un quartier à l’est du centre-ville. Une deuxième – elle aussi en banlieue – a accueilli ses premiers clients quelques mois plus tard.
« Ça nous permet de tester le marché et c’est moins coûteux, explique le directeur de marketing, Joseph Audi. Les deux restaurants vont bien. » Deux autres ouvriront dans la grande région de Toronto en 2023.
De nombreux échecs
Ce ne sont toutefois pas toutes les chaînes montréalaises qui peuvent s’estimer aussi chanceuses. Sushi Sama – qui compte 34 restaurants au Québec – s’est lancée dans l’aventure torontoise en février 2022. La succursale de Toronto, située sur Avenue Rd, a finalement abruptement mis la clé sous la porte moins d’un an plus tard. Son expérience met en lumière la difficulté de conquérir le marché de la Ville reine pour les entreprises de restauration québécoises.
« Un nombre important de restaurants montréalais sont venus ici et ont échoué de façon spectaculaire », note d’emblée le consultant en restauration Douglas Fisher. Les défis sont d’ordre financier et culturel. D’abord, les terrains à louer sont plus chers et les impôts fonciers, plus élevés à Toronto qu’à Montréal. Secundo, les Torontois ont des habitudes et un mode de vie différents de ceux de leurs voisins québécois, selon le consultant. « Les Montréalais aiment s’asseoir dans un café pour discuter. Les Torontois font les choses rapidement », dit-il.
Douglas Fisher recommande aux entreprises d’avoir un employé sur le terrain, dans la région qu’ils cherchent à percer. Un employé, dit-il, qui comprend le marché. Certaines chaînes font l’erreur de gérer leurs activités à partir de leur ville d’origine, d’après le consultant.
« C’était le problème avec Moishe’s et Dunn’s, affirme-t-il au sujet des deux restaurants bien connus des Montréalais, qui n’ont pas fait long feu à Toronto. Ils ne comprenaient pas le marché torontois. »
« Toronto ressemble beaucoup plus à New York qu’à Montréal, a constaté Karan Bhatti après un an dans la Ville reine. Montréal, la nourriture et le style, tout est différent ». Le Québécois a dû adapter ses campagnes de marketing à la clientèle torontoise, une expérience qui lui a permis de comprendre pourquoi certaines chaînes américaines choisissent de s’établir à Toronto avant de venir au Québec. « C’est la langue, explique-t-il. Si vous traduisez une campagne francophone en anglais, ça ressemble à une émission doublée. »
Le risque du télétravail
Son restaurant torontois va bien aujourd’hui, mais Spice Bros a néanmoins nagé en eaux troubles à son arrivée. Le comptoir de restauration rapide fait face à trois tours de bureaux le plus souvent vides. « Les restaurants de la rue se plaignent que l’heure du dîner est calme, raconte Karan Bhatti. On avait misé sur le fait que les tours allaient se remplir. » Le cofondateur avait aussi choisi l’emplacement parce que la clientèle des environs lui rappelait celle de Dollard-des-Ormeaux, où Spice Bros a ouvert son premier restaurant.
Chrissy Durcak, la propriétaire du café Dispatch, a pu en quelque sorte profiter de la situation. En janvier 2022, le café Dispatch a inauguré son premier comptoir à Toronto. La Montréalaise a négocié son loyer avec un propriétaire qui était « vraiment flexible et ouvert aux négociations », puisque le quartier financier – où se situe l’escale torontoise – avait été déserté en raison du télétravail. Le locataire précédent était d’ailleurs un café qui a fait faillite durant la COVID-19. C’était un peu un déménagement clé en main », dit-elle.
Le café a aussi bénéficié du fait que plusieurs Torontois connaissaient déjà la marque. En effet, 50 % des ventes de Dispatch se font en ligne (l’entreprise livre des grains), et Toronto est la plus grande base de clients après Montréal. « On a déjà une clientèle active », dit Chrissy Durcak. Elle aimerait ouvrir de nouveaux cafés à Toronto. « C’est la plus grande ville au pays, donc c’est une prochaine étape logique pour notre croissance », dit-elle.
Source : La Presse canadienne / Ce reportage bénéficie du soutien de l’Initiative de journalisme local, financée par le gouvernement du Canada.