Jusqu’au 21 novembre, l’Alliance française de Toronto présente une exposition en hommage à un lieu unique à Berlin, l’hôtel Bogota.

C’est une histoire un peu cabossée, que celle de l’hôtel Bogota de Berlin. Une histoire cabossée, à l’image de ce XXe siècle berlinois, qui a vu l’empire, les guerres, les discussions incessantes de la république de Weimar, les grands mouvements artistiques des années 1920, puis la chute au fond de l’horreur et du mauvais goût du nazisme culturel avant de revivre, après-guerre, et de redevenir ce qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être : un pôle artistique majeur. L’hôtel Bogota a fermé ses portes il y a un an. Il avait été construit en 1911, et c’est une histoire qui en comporte des milliers qui se ferment.

Victime de la montée des loyers de la capitale culturelle de l’Europe, victime de la gentrification et d’une apathie des pouvoirs publics, l’hôtel Bogota, ancien siège du ministère de la Culture du troisième Reich, n’est plus. Mais les souvenirs demeurent et les photos aussi.

C’est dans ce contexte que l’Alliance française de Toronto présente Bogota in Berlin in Toronto, du photographe Théodore Witek. Pendant la république de Weimar, cette période à la fois enthousiasmante parce que démocratique et trouble, parce qu’elle est le théâtre de la montée en puissance du nazisme sur fond d’instabilité parlementaire, l’hôtel accueille dans l’appartement du rez-de-chaussée le mécène Oskar Skaller, qui organise des fêtes splendides et fait venir le jazz à Berlin.

Puis, en 1934 (Hitler est au pouvoir depuis un an), Else Simon, dite « Yva », photographe de mode, y installe son atelier. Un atelier fréquenté par les milieux intellectuels, mais aussi, dès 1936, par un assistant qui deviendra après-guerre et un exil aux États-Unis, l’un des plus grands photographes du XXe siècle : Helmut Newton.

Yva et son mari, qui ne pensaient pas qu’Hitler puisse rester au pouvoir, sont déportés (ils sont juifs) au moment où ils allaient fuir pour les États-Unis. Quatre ans plus tôt, ils ont dû abandonner leur atelier. Le bâtiment, au 45 Shlüterstraβe devient le ministère de la Culture, qui promeut l’art aryen et poursuit les artistes « dégénérés ». 

Dans les années 1960, l’hôtel renaît de ses cendres. Heinz Rewald, Allemand émigré en Colombie aux premières heures du régime nazi, revient à Berlin et ouvre aux quatrième et cinquième étages l’hôtel Bogota.

L’exposition de Théodore Witek est composée de photos en noir et blanc, sensuelles et mystérieuses. Un hommage à un endroit spécial, et une tentative honorable d’empêcher qu’il sombre dans l’oubli.

Photo : Théodore Witek