Il est sept heures du matin. La montagne Cypress est encore noire et silencieuse. Seul sur le remonte-pente, Alexandre Bilodeau est désormais livré à lui-même. Dans quelques heures, tout va se jouer en l’espace de 23 secondes. Quatre années intensives et remplies de sacrifices vont se terminer soit en désastre ou bien en apothéose. Les idées les plus folles trottent dans sa tête, allant des bons résultats en coupe du monde à venir jusque-là à l’immense déception, quatre ans plus tôt, aux Jeux olympiques de Torino. Ces dix minutes qu’il passe suspendu entre ciel et terre semblent durer deux heures, une éternité quand on est saisi par le doute.
C’est alors que ces mots répétés par son psychologue sportif lui revinrent comme un mantra : « En haut de la montage, ça va te frapper de plein fouet. Contrôle tout ce qui se passe dans ta tête! »
Plus tard, arrivé au sommet, alors qu’il se présente sous l’arche de la ligne de départ, la montagne toute entière semble en effet trembler sous l’immense clameur du public amassé en contrebas. Parents, amis et supporters, tous espèrent assister à un moment historique. Vont-ils voir le premier Canadien remporter une médaille d’or olympique en sol canadien?
Vous connaissez peut-être le reste. Alexandre Bilodeau réussira l’exploit que tout un pays attendait et remportera la médaille d’or dans l’épreuve des bosses en ski acrobatique aux Jeux de Vancouver.
« Peu d’entre nous ont la chance de briller lors d’une compétition majeure dans son propre pays. C’est une occasion comme on en a peu dans une vie », explique Alexandre Bilodeau à la vingtaine de jeunes athlètes venu l’écouter à Toronto le jeudi 2 mai. La plupart représenteront le Canada aux Jeux panaméricains et parapanaméricains de Toronto en 2015. Comme Alexandre, ils devront faire face au surplus de pression de devoir briller devant les leurs.
Youssef Youssef et Mohab El Nahas, deux jeunes judokas francophones de Toronto, écoutent leur aîné avec admiration et envie. Comme lui, ils espèrent bien se retrouver sur la plus haute marche du podium dans deux ans. Tous deux originaires d’Égypte, ils ont déjà un palmarès prometteur. À raison de quatre heures d’entraînement quotidien au sein de leur club, les deux garçons mettent le paquet pour parvenir à leurs fins. Quand il n’est pas sur un tatami, Youssef travaille comme préparateur physique dans un club privé. Mohab doit jongler du mieux qu’il peut judo et études secondaires à l’école Étienne-Brûlé. Peu importe les sacrifices, le rêve et le feu de la passion animent leur enthousiasme.
Aux jeunes athlètes invités par le comité des Jeux panaméricains et parapanaméricains de Toronto 2015, Alexandre Bilodeau fait remarquer qu’être chez eux pourrait aussi tourner à leur avantage. Une excellente connaissance des installations et des conditions toutes particulières durant la préparation aux compétitions, comme ce fut le cas pour les athlètes canadiens aux Jeux de Vancouver, devraient aussi jouer en leur faveur.
Aujourd’hui, Alexandre Bilodeau a repris l’entraînement après une année sabbatique qui lui a permis de décompresser et de poursuivre ses études. Depuis quelques semaines, la route pour les Jeux de Sochi en 2014 se dessine à l’horizon.
« J’ai hésité un instant si je devais prendre ma retraite après Vancouver. Cependant, j’ai eu peur d’avoir un jour des regrets de ne pas avoir défendu mon titre, confie le vainqueur de la Coupe du monde 2009 et champion olympique 210. Quand tu gagnes une médaille d’or, tu veux en gagner une autre! »
Au lendemain de ses mauvais résultats aux Jeux de Torino en 2006, Alexandre Bilodeau avait scellé un pacte avec son psychologue sportif : donner son maximum, n’avoir aucun regret et, surtout, savourer le moment. Tous les jeunes athlètes qui assistaient à la rencontre ont pris le message en note, à commencer par Youssef et Mohab.
Toronto reçoit les Jeux panaméricains et parapanaméricains en juillet 2015 : www.toronto2015.org.
Photo : Youssef Youssef (à gauche) et Mohab El Nahas rêvent de défendre les couleurs du Canada aux prochains Jeux panaméricains.