Il était « un garçon hurlant, bagarreur et efféminé », dans les rues de Salé, au Maroc. C’est aujourd’hui un homme de 40 ans, qui en paraît 15 de moins, qui a publié quatre livres, tourné deux films et scandalisé le Maroc avec une tribune parue dans le journal Tel Quel, L’homosexualité expliquée à ma mère, en 2009. Un geste paradoxal, puisque la mère d’Abdellah Taïa ne sait ni lire, ni écrire. Mais à travers sa mère M’Barka, c’est à toutes les mères marocaines et donc au pays qu’il s’adressait. « Ma mère, le Maroc, ce n’est pas les autres, le gouvernement, les religieux, les éternels moqueurs, les casseurs, les empêcheurs, les jaloux, les mesquins… Le Maroc tout entier, celui que j’ai en moi et celui à qui je parle aussi à travers cette lettre, c’est toi. C’est un Maroc qui n’est pas parfait. Un Maroc dans la tension, la fièvre. Un Maroc dans l’élan. La possession. »
Abdellah Taïa est scandaleux. Il le reconnaît lui même, d’ailleurs. Mais ce scandale, ce n’est pas le sien. C’est celui d’un Maroc qui a un problème avec l’homosexualité. Avec la sexualité en général.
Au Maroc, l’homosexualité est passible jusqu’à trois ans de prison. Ces dernières années, plusieurs arrestations d’homosexuels ont eu lieu. Le sujet est tellement tabou dans le monde arabe qu’il n’y a pas de mot pour désigner l’homosexualité. Pourtant, certains des plus grands poètes du monde musulman, qu’ils soient de langue arabe ou persane, furent ouvertement homosexuels.
Évidemment, l’œuvre de Taïa ne se réduit pas à la question de l’homosexualité, qui n’est d’ailleurs jamais abordée frontalement. L’œuvre de Taïa, c’est surtout les tripes et l’émotion. Les larmes et la sensibilité à fleur de peau. Une prose instinctive, rythmée par les larmes de l’auteur. Dans les livres de Taïa, tous écrits à la première personne, le narrateur pleure à tout bout de champ. Une véritable fontaine lacrymale. « J’ai le désir secret de faire une esthétique des larmes », explique-t-il.
Pour Taïa, écrire, c’est « formuler le monde à travers les textes ». Il offre une vision brute et sans complaisances. Une écriture synthétique, parfois rêche, à découvrir.
Photo : Habdellah Taïa était interviewé par Nima Tak.