Allison Jones

L’Ontario aura besoin de 33 200 infirmières et de 50 853 préposés de plus d’ici 2032, prévoit le gouvernement – des chiffres qu’il a d’abord tenté de garder secrets, mais qui ont finalement été obtenus par La Presse canadienne.

Le gouvernement a récemment remporté un combat devant le Commissaire à l’information et à la protection de la vie privée pour garder ces chiffres secrets, après avoir refusé l’accès à Global News à la suite de sa demande d’accès à l’information. Mais le même commissariat a mis l’information à la disposition de La Presse canadienne par le biais d’une demande distincte – une situation qui, selon les critiques, révèle les fragilités et l’arbitraire du système d’accès.

Les projections du nombre d’infirmières et de préposés dont l’Ontario aura besoin – en plus de ceux actuellement formés – ne surprennent pas les syndicats, qui tirent la sonnette d’alarme depuis des années sur les pénuries de main-d’œuvre en santé. Mais elles révèlent combien le gouvernement souhaite mettre sous le boisseau ces projections, selon Sharleen Stewart, présidente de « SEIU Healthcare », plus important syndicat représentant les préposés en Ontario.

Lorsque Global News a fait appel de la décision du ministère, le gouvernement a plaidé que la divulgation de ces informations nuirait aux intérêts financiers et économiques de la province, car les syndicats utiliseraient ces données pour obtenir des salaires plus élevés. Le commissariat a conclu que même s’il existait un « intérêt public impérieux » à divulguer des pénuries de main-d’œuvre, cela ne l’emportait pas sur les préoccupations économiques du ministère.

James Turk, directeur du Centre pour la libre expression de l’Université métropolitaine de Toronto, estime que cette décision elle-même était « profondément troublante ». Et le fait que les chiffres qu’un responsable de l’accès à l’information d’un ministère estimait susceptibles de nuire aux intérêts économiques de l’Ontario aient été jugés acceptables par un autre coordonnateur du même ministère montre le pouvoir discrétionnaire qui prévaut dans ce système, a-t-il déclaré.

« Les responsables de l’accès à l’information qui s’occupent de ces questions considèrent que leur rôle consiste à mettre à la disposition du public ce qui devrait l’être, a rappelé M. Turk. D’autres considèrent que leur rôle consiste à protéger Fort Knox — et les dirigeants de leur ministère de toute révélation qui pourrait être embarrassante. »

Plus tard, lorsque Stan Cho a été nommé ministre en septembre, La Presse canadienne a demandé une copie du dossier de transition pour les soins de longue durée. L’accès à l’information a été accordé en février et l’une des pages – sans caviardage – expose entièrement les pénuries attendues.

En 2022, l’Ontario avait besoin de 6000 infirmières supplémentaires dans tous les secteurs de la santé, selon le document. Mais l’année suivante, les besoins sont passés à 10 110 et cette année, ils devraient atteindre 13 200 infirmières. D’ici 2027, la province devrait avoir besoin de 20 700 infirmières supplémentaires, et ce nombre passera à 33 200 d’ici 2032.

En ce qui concerne les préposés, la province avait besoin de 24 100 de plus en 2022 et de 30 900 de plus en 2023. Cette année, les besoins atteignaient 37 700, et ils devraient atteindre 48 977 en 2027 et 50 853 en 2032.

Intérêts économiques?

Le porte-parole libéral en matière de santé, Adil Shamji, a déclaré que la pénurie de personnel dans ce secteur est « dévastatrice » et il est troublé par le fait que la justification avancée par le gouvernement pour retenir initialement l’information était due à des intérêts économiques.

« En fin de compte, les soins de santé sont censés se concentrer sur une seule chose : les intérêts des patients, a-t-il estimé. Je m’inquiète de la raison pour laquelle le système d’accès à l’information est utilisé pour donner la priorité aux intérêts financiers plutôt qu’aux intérêts des patients. »

Pour le chef du Parti vert, Mike Schreiner, cette affaire montre que le système d’accès à l’information doit être réformé. « Les normes doivent être plus cohérentes à tous les niveaux, a-t-il dit. Le fait que des demandes qui semblent similaires aient été traitées de façons complètement différentes est vraiment inacceptable. »

La cheffe néo-démocrate, Marit Stiles, croit que le gouvernement ne voulait pas que les chiffres soient publiés parce qu’ils documentent des pénuries croissantes dans le réseau. « Quiconque a dû attendre des heures dans une salle d’urgence bondée, ou a vu un être cher souffrir de négligence dans un foyer de soins de longue durée parce qu’il n’y avait pas assez de personnel, sera contrarié de voir ce gouvernement cacher le fait que les pénuries d’infirmières et de préposés devraient s’aggraver au fil des ans », a-t-elle écrit.

Une porte-parole de la ministre de la Santé, Sylvia Jones, a déclaré que 32 000 nouvelles infirmières avaient été enregistrées au cours des deux dernières années et que près de 25 000 préposés avaient été ajoutés au cours des trois dernières années.

« Nous savons qu’il reste beaucoup à faire. C’est pourquoi, dans le cadre de notre budget 2024, notre gouvernement investit 743 millions $ pour continuer à accroître notre main-d’œuvre, grâce à des programmes d’inscription et de rétention accrus (…) et à 2 milliards $ supplémentaires pour poursuivre la croissance de notre travail et moderniser le secteur des soins à domicile et en milieu communautaire. »

Source : La Presse canadienne