On le savait déjà : la population francophone de l’Ontario est plus âgée que l’ensemble de la population de la province et le phénomène a tendance à s’accélérer. Le Livre blanc – présenté la veille de la Journée internationale des personnes âgées par l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO) et la Fédération des aînés et des retraités francophones de l’Ontario (FARFO) – ne fait donc que confirmer l’évidence. Toutefois, pour ceux qui savent lire entre les lignes, ce document a le mérite d’apporter des éléments de compréhension à une situation alarmante. Le Métropolitain l’a épluché pour vous.

À vrai écrire, ce n’est guère une question de lignes, mais de chiffres, et plus précisément de croisement des résultats de cette étude menée sur le terrain avec des variables sociodémographiques provenant d’autres sources officielles, un travail titanesque au vu du peu de données et d’études consacrées exclusivement à la population francophone ontarienne en général et des aînés en particulier!

État des lieux

Si on élabore une moyenne à partir de tous les chiffres avancés par les organisations gouvernementales et non gouvernementales, tout en prenant en considération les différentes définitions établies à propos du « type » francophone, on tombera sur un nombre avoisinant les 620 000 francophones vivant en Ontario, soit environ 5 % de la population totale.

Sur le site de l’Association française des municipalités de l’Ontario, on peut lire que cette communauté « est plus âgée que celle de l’Ontario dans son ensemble; elle compte proportionnellement plus de personnes âgées de 65 ans et plus, et moins de personnes âgées de moins de 35 ans. »

Si on s’amuse ensuite à recouper ce résultat avec les données de la FARFO, il en sort que plus de 40 % des Franco-Ontariens ont plus de 50 ans, pour un âge médian de la province de 40,1 ans. L’âge médian des francophones de la province étant de 44 ans (Office des affaires francophones), le raccourci est bien tentant : les Ontarois sont plus vieux que les Ontariens de presque quatre ans.

Par ailleurs, la plupart des francophones de l’Ontario vivent dans le milieu urbain. Cependant, un phénomène migratoire intraprovincial vers le milieu rural est à redouter, surtout chez la catégorie dite des aînés. En effet, compte tenu du fait que « le niveau d’éducation des francophones de 65 ans et plus de l’Ontario et du Canada est moins élevé que celui des anglophones : 35,5 % des francophones n’ont aucune certification » (FARFO) et que, et c’est bien là où le bât blesse, « le revenu moyen des francophones de 65 ans et plus en Ontario est près de 4686 $/année de moins que chez les anglophones » selon la même source, les aînés seront amenés, dans un futur proche, à déménager là où le logement est plus abordable, c’est-à-dire dans le milieu rural, un asile économique en quelque sorte.

État de santé

Le moins qu’on puisse dire est qu’il est très difficile d’évaluer la santé des aînés francophones de l’Ontario, à cause d’un manque patent de données dans ce secteur ô combien essentiel et représentatif de l’égalité au sein d’une nation, qu’est la santé. Cela est dû, en grande partie, au processus statistique du système de santé de la province qui ne fait aucune distinction entre les francophones et les anglophones.

De ce pas, on ne peut pas, à titre d’exemple, obtenir des informations de premier ordre tel le nombre de Franco-Ontariens souffrant de maladies cardiovasculaires ou autres maux liés à la vieillesse, à partir de l’utilisation de la carte de santé par ces derniers, car aucune différentiation linguistique n’y est faite en amont.

Toutefois, on peut écrire avec certitude que les aînés francophones sont moins bien lotis que leurs concitoyens anglophones dans ce domaine. Le constat est manifeste s’agissant de l’accessibilité des soins de longue durée, cheval de bataille de l’AFO et de la FARFO depuis quelques années déjà. En effet, selon le Livre blanc, « la population francophone du Grand Toronto (127 000 francophones) n’a accès qu’à 37 lits de soins de longue durée francophones (Reflet Salvéo, 2109) », pour une moyenne générale d’un lit pour 170 Ontariens (Commissariat aux services en français, 2019 et Reflet Salvéo, 2019). Lorsque l’on sait que ce sont en majorité les personnes âgées qui sollicitent ce type de soins, il est clair qu’on est plus face à un besoin, mais à une urgence.      

État d’âme 

Comme mentionné précédemment, un phénomène migratoire des aînés franco-ontariens vers les zones rurales ou éloignées est à craindre dans les années à venir, des zones où, en raison du déclin démographique, existe une certaine défaillance en matière d’accès aux ressources et/ou aux soins, mais également aux activités communautaires.

À l’inverse, le départ des jeunes francophones vers les grandes villes se poursuit, un dangereux chassé-croisé pouvant, à terme, mener à l’isolement et à la solitude. Pire que cela, à en croire la FARFO, le phénomène est déjà en marche.

Chiffres à l’appui, la fédération affirme que « les francophones de 65 ans et plus de l’Ontario et du Canada sont plus nombreux à être susceptibles de vivre seuls ». Partant de là, les concepteurs du Livre blanc ont jugé bon de récolter des données sur le terrain afin de mieux cerner le phénomène.

Ainsi, à travers une simple addition, on peut s’apercevoir que 87 % des aînés francophones interrogés en Ontario et qui ont le sentiment d’être isolés ou vivant en situation de solitude, l’expliquent par le manque de parents ou amis vivant à proximité, au manque des services et des activités francophones pour les personnes âgées, au lieu de résidence loin des points de service comme les transports en commun, les centres commerciaux ou les centres communautaires, ainsi qu’à l’exclusion sociale due au fait qu’ils ne parlent pas la même langue et ne partagent pas les mêmes centres d’intérêt que leur voisinage. Or, plusieurs études ont d’ores et déjà démontré l’impact très néfaste non seulement sur la santé mentale, mais aussi sur la santé physique, allant jusqu’à assurer que l’isolement social et la solitude seraient aussi risqués que le tabagisme ou l’obésité. La dernière en date est celle du Conseil national des aînés qui stipule que les personnes vivant seules ont quatre à cinq fois plus de risques de se faire hospitaliser. Tout est lié, donc! 

Pour résumer

Niveau de scolarité inférieur aux anglophones, revenus plus faibles, accès aux soins spécifiques plus réduit, probabilité d’être en proie à l’isolement plus élevée, il semblerait, comparativement au reste de la population ontarienne, qu’il ne fait pas bon d’être francophone en Ontario et d’y vieillir.

Plus que jamais, cette tranche de la population a besoin de politiques et de services qui lui sont dédiés, au risque d’observer un phénomène de glissement qu’on pourrait qualifier d’anglicisation de la société ontarienne. Qui plus est, dans son rapport 2017-2018, le Commissariat aux services en français tire le signal d’alarme à propos de cette tendance relative à la mobilité linguistique vers l’anglais qui devrait se poursuivre jusqu’à l’horizon 2028.

Toutefois, au-delà des chiffres et des prévisions, marginaliser nos aînés équivaut à marginaliser notre mémoire et notre héritage. Ces personnes représentent autant de mines d’or de savoir et de savoir-faire qu’il convient de préserver à tout prix et dans les meilleures et les plus dignes des conditions, cela afin qu’ils puissent transmettre ces trésors amassés au fil des années et s’ériger en source d’inspiration pour les générations futures.    

SOURCE: Soufiane Chakkouche