À bien des égards, Toronto se démarque des autres villes en Amérique du Nord en matière d’urbanisme. C’est le constat qu’a dressé l’urbaniste Pierre Filion lors de la dernière conférence de la Société d’histoire de Toronto.
À peine la Seconde Guerre mondiale terminée, Toronto semblait prendre les devants en matière d’urbanisme en se lançant résolument dans une série de grands projets. En construisant un métro, alors que beaucoup de ses consœurs s’affairaient à quadriller leur territoire d’autoroutes, Toronto misa sur les transports en commun pour désengorger ses artères principales de tramways et de voitures. Pierre Filion regrette cependant qu’on ait copié le modèle de station du métro de Chicago avec ses plateformes étroites. Les efforts en matière de transport en commun s’étendirent également à la banlieue avec la création du système de train GO, projet financé cette fois par le gouvernement provincial. Autre pas important fut la création de Metro Toronto, une entité gouvernementale qui réduisit le nombre de municipalités à 6 au lieu de 13, démarche rarissime à l’époque. Cette époque vit aussi la construction d’autoroutes telles que la 401, la Don Valley Parkway ou encore la Gardiner pour soit contourner Toronto ou bien rendre l’accès au centre-ville plus facile.
Autre fait insolite, le maire conservateur de l’époque, Frank Gardiner, scella une alliance plutôt inattendue avec des urbanistes de gauche comme Hans Blumenfeld et Eli Comay en construisant des logements sociaux, au centre-ville comme en banlieue. Des zones mixtes à forte et faible densité s’implantèrent donc un peu partout dans la région métropolitaine.
Cette vision n’allait cependant durer qu’un temps. Rapidement, les autoroutes allaient avoir l’effet inverse qu’on escomptait et aggraver les problèmes de circulation. Peu à peu, les Torontois se déversèrent sur ces autoroutes pour aller s’établir dans des pavillons en banlieue. Les logements sociaux cédèrent devant l’arrivée massive de lotissements construits en serpentins. De vastes banlieues à faible densité de population s’implantèrent à la périphérie de la métropole, entraînant la perte de terres agricoles et menaçant même des espaces naturels fragiles tels que la moraine d’Oak Ridges. Aujourd’hui largement décrié, l’étalement urbain engendre des services coûteux et des heures interminables passées sur la route.
Les responsables de la ville ne tardèrent pas à s’atteler à la tâche puisqu’on ne compte pas moins de quatre plans d’urbanisme pour Toronto depuis 1967. Le dernier en date de 2006, le plan « Place à la croissance », reprend en partie les grandes lignes de ses prédécesseurs : protection d’une bande verte au nord de la métropole, établissement de pôles secondaires avec un urbanisme contrôlé qui allient dans un espace le plus restreint possible travail, commerces et divertissements (North York, Scarborough, Islington et Bloor) et enfin un réseau de transport en commun digne de la quatrième ville d’Amérique du Nord (Metrolinx).
L’avenir n’est pas aussi sombre qu’on veut bien le penser. M. Filion estime que Toronto se retrouve en position de force pour surmonter ses défis d’urbanisme, surtout quand on la compare avec d’autres villes nord-américaines. Les structures mises en place dans les années 1950 pourraient encore s’avérer un atout. Toronto affiche une densité de population et une utilisation des transports publics supérieures à bien d’autres. Un retour au centre-ville s’est amorcé depuis quelque temps. Un nombre croissant de Torontois choisissent de vivre, travailler et s’amuser dans un espace plus réduit afin de passer moins de temps pour rentrer chez eux le soir.
L’auditoire présent à la conférence ne manqua pas de souligner que les décisions qui vont être prises dans un avenir proche seront capitales. En ce qui concerne les transports en commun, M. Filion ne cache pas son aversion pour la construction de métro souterrain en banlieue, lui préférant un réseau en surface bien moins coûteux. Il recommande également l’instauration de quotas en matière de logements sociaux dans chaque nouveau projet, un peu à l’instar de ce qui se fait actuellement à Vancouver.
Que va devenir Toronto dans les années à venir? Avec 100 000 nouveaux arrivants chaque année, notre ville est passée du statut de ville moyenne à celle d’une très grande métropole. La Ville reine va devoir de nouveau faire preuve de créativité et d’avant-gardisme.
Photo : Pierre-Fillon