Si tout semble séparer les étranges portraits de Sylvain Coulombe et les perspectives abstraites d’Étienne Gélinas, les travaux respectifs des deux peintres québécois vont bel et bien cohabiter à la galerie Thompson Landry de Toronto, du 22 mars au 8 avril, formant une singulière passerelle artistique entre deux univers en apparence aux antipodes.

Le crâne chauve et protubérant, les yeux exagérément grands et le regard fuyant, les inquiétantes créatures qui peuplent les toiles de Sylvain Coulombe soulèvent bien des interrogations. Dans l’épaisseur de couches de couleurs grossièrement juxtaposées à grands gestes, l’artiste montréalais a patiemment creusé les traits de ces êtres surréalistes pour leur conférer une âme.

« J’ai commencé mon art avec des œuvres abstraites mais je voyais des personnages partout : dans les briques, les arbres, le ciel, raconte Sylvain Coulombe. J’ai arrêté de me battre contre moi-même pour leur donner vie. » Derrière ces personnages difformes, austères, voire tourmentés, créés « par accident » au gré d’un grattage instinctif, cet archéologue de la couleur et de l’humanité s’attache à « suggérer l’espoir, montrer la lumière au bout du tunnel ».

Au milieu de l’ombre, cette intention ensoleillée est confirmée par les titres positifs des œuvres. « Si tout était rose, le message passerait moins, argumente celui qui a longtemps cherché la bonne technique. Je suis arrivé à une texture quasi finale que j’applique au sujet seulement et non plus à l’ensemble de la toile. Je me suis fixé cette limite pour me concentrer désormais sur la profondeur des personnages, dont je dessine d’abord la silhouette, et leur interaction avec un environnement volontairement de plus en plus épuré, fait d’aplats. »

C’est d’ailleurs peut-être pour leur offrir un nouvel horizon, un autre décor dans lequel évoluer, que la galerie Thompson Landry a invité Étienne Gélinas à exposer ses œuvres simultanément. Ses travaux abstraits qui mettent la rigueur géométrique à l’épreuve du chaos organique interpellent. Cercles concentriques, mécanismes d’engrenage et lignes architecturales côtoient l’anarchie de formes courbes, de gouttes, de coulures, d’éclats qui suggèrent le mouvement, le flot, la vie.

« Je traite de l’ambiguïté entre les codes scientifiques et plastiques dans un espace tridimensionnel dont l’objet est l’espace lui-même », confie Étienne Gélinas. Ses collages, ses coups de crayon, de pinceau et de spatule bâtissent des ensembles urbains aux multiples points de fuite, bouleversant les perspectives et le jeu de plan. Un univers sens dessus dessous qui allie ce qu’il percevait, il a quelques temps encore, comme une contraction inconciliable : le pictural et le scientifique, le figé et le mouvement, le liquide et le solide, l’artificiel et le naturel, le fini et l’infini. « Cette dualité m’apparaît au fur et mesure plutôt comme une forme de collaboration, de dialogue entre l’aspect plastique et l’aspect scientifique. »

Une collaboration qui pourrait dépasser le cadre de ses tableaux. Ces effets hors champ laissent cette porte ouverte. Les personnages de Sylvain Coulombe en quête de décor et d’espoir pourraient donc trouver refuge dans la sphère collaborative d’Étienne Gélinas.

Les deux artistes n’écartent pas cette possibilité. En tout cas, ceux qui ont eu l’occasion d’exposer à deux reprises dans des événements collectifs provoquent l’occasion de l’expérimenter dans ce surprenant duo qui promet au moins quelques belles réponses sur le traitement de la matière, le jeu des couleurs et le maniement de la métaphore.

 

PHOTO : Une toile d’Étienne Gélinas