Dans le cadre de la programmation virtuelle de l’Alliance française de Toronto, les créateurs de la pièce Mon corps livré pour vous offrent un aperçu de leur cheminement journalistique et la création de ce théâtre documentaire au thème tabou.

La fondatrice et directrice générale du Théâtre Belvédère, Caroline Yergeau, et le comédien-auteur et directeur Louis-Philippe Roy se sont embarqués dans un projet de théâtre documentaire sur la prostitution avec l’idée de démystifier un peu ce monde à mauvaise réputation.

Leur curiosité est piquée à la suite de la loi C-36 par rapport à l’interdiction de l’achat de services sexuels qui est retravaillé en 2014. Quatre ans plus tard, ils aboutissent à la création Mon corps livré pour vous, une œuvre qui suit justement le parcours de Caro, une jeune dame qui se questionne sur le monde de la prostitution.

Selon Mme Yergeau, c’est du théâtre d’inspiration documentaire, car le fil conducteur est fictif tandis que les histoires qui l’entourent, elles, sont bien réelles parfois même au verbatim près.

Durant la discussion Zoom, les deux créateurs ont partagé différentes vues du métier qu’ont exprimé les nombreuses personnes interviewées.

Maxime, escorte masculine de luxe, maintient qu’il n’y a aucune différence entre les termes « travailleur du sexe », « prostitué » ou « escorte » et que cela dépend du niveau de confort des personnes qui dialoguent. Il voit le terme « escorte » comme une sorte de lubrifiant pour les oreilles plus sensibles malgré que son métier soit un choix, et simplement son emploi.

Mme Yergeau et M. Roy observent d’autres points de vue semblables, dont celui d’Ève, qui se voit comme femme d’affaires. Elle se prostitue à son rythme dans le confort de sa maison. Elle voit son métier comme spirituel, presque charnel où elle a le pouvoir d’aider ses clients, parfois souffrant de handicaps.

Une autre femme raconte qu’elle a toujours voulu ça, qu’avec son métier, elle possède le pouvoir sur l’homme et ajoute même un aspect pédagogique à son approche qui avantage les autres femmes (présentes et futures) dans la vie de ses clients.

Puis, le duo fait face au côté plus connu et moins positif du monde de la prostitution. D’autres femmes racontent qu’elles se gèlent pour pouvoir vivre à travers ces agressions sexuelles perpétuelles et imposées par un manque d’argent et un proxénète; qu’elles ont été soumises à une sorte d’esclavage jusqu’à en perdre l’envie de vivre.

Ève Lamont, réalisatrice des films L’Imposture (2010) et Le Commerce du sexe (2015), se situe du côté abolitionnisme durant son entrevue. Elle affirme que la prostitution ne peut être vue comme un métier, car il n’y a pas de promotion rattachée à l’emploi, seulement une dégringolade vers la destruction de soi-même.

C’est avec les enregistrements de toutes ces réalités que la pièce est finalement mise en scène en 2018 par le Théâtre Belvédère en collaboration avec le Théâtre du Trillium. Ce n’est pas une interprétation scientifique, mais bien humanitaire, qui cherche à illuminer les coins du travail du sexe qui restent cachés dans l’ombre. Il est clair que c’est un projet très réfléchi de la part des créateurs et toujours d’actualité.

SOURCE – Élodie Dorsel

PHOTO – L’équipe derrière la pièce réunie le temps d’une photo