Insolite qu’est cette messe qui suit un rite catholique. Dite en arabe avec le texte en anglais projeté sur deux grands écrans de chaque côté de l’autel, elle est hautement symbolique de la diversité qui règne au sein des Maronites à Toronto. Le visiteur est constamment interpellé par les multiples facettes que présente cette communauté. Ils sont venus d’Orient alors qu’ils sont également fermement installés en Occident. Ils sont arabophones mais aussi francophones. Ils sont à la fois Canadiens et Libanais.
Les Maronites sont originaires du Liban. Pays minuscule du Moyen-Orient comparé au Canada, le Liban est montagneux et bordé par la mer Méditerranée. Malgré la splendeur des paysages et la douceur de vivre au Liban, un grand nombre de Maronites ont dû s’expatrier aux quatre coins du monde à cause des tensions politiques et religieuses qui se manifestent à intervalles réguliers dans le pays.
Fidèle à l’église catholique romaine à travers les vicissitudes de l’histoire, la population maronite compte aujourd’hui environ un million de membres au Liban et trois millions à l’étranger. Suite à la guerre civile de 1975, la plupart sont allés s’établir en France, au Brésil, en Argentine, au Mexique, en Australie, en Afrique du Sud et au Canada. Selon le père Maroun Abou Jaoude, un des deux prêtres de la communauté, on compte environ 75 000 Maronites au Canada, dont 6000 dans la région torontoise.
La communauté est en émoi chaque fois qu’un incident se produit au Liban. Ces incidents resserrent les liens mais peuvent aussi occasionnellement faire ressortir les divisions. Le père Maroun Abou Jaoude exige cependant que personne ne parle de politique à l’église. « Je les encourage au contraire à chérir notre pays, le Liban, et à être maronite », affirme le prêtre.
La très grande majorité des Maronites parlent parfaitement le français. Cette relation particulière avec le français date du protectorat mis en place au Liban et en Syrie par la France à la chute de l’empire ottoman à la fin de la Première Guerre mondiale. Les chrétiens du Liban placèrent alors leurs enfants dans des écoles françaises établies par les Jésuites. Ceci explique pourquoi la plupart des Maronites inscrivent leurs enfants dans les écoles francophones catholiques à leur arrivée au Canada. Andrew Fares, élève de 12e, et Jessica Fares, en 4e année à l’Université de Toronto, illustrent parfaitement le trilinguisme que maîtrisent un bon nombre de jeunes Maronites : français à l’école, arabe à la maison et anglais partout ailleurs.
« Mon fils Marc, établi maintenant en Californie, m’écrit toujours en français. Mes trois fils n’ont pas perdu leur intérêt pour le français malgré le fait qu’ils évoluent dans un milieu anglophone », fait remarquer Lily Harfouche, directrice d’une école francophone, en soulignant que tous les trois sont allés à l’école en français.
Malgré une bonne maîtrise des deux langues officielles du Canada, leur installation dans notre pays n’est pas sans embûche. Comme beaucoup d’autres immigrants, la recherche d’un emploi valorisant et en rapport avec son niveau d’éducation n’est pas toujours couronnée de succès. C’est là justement que l’église maronite semble jouer un rôle essentiel en apportant un support logistique, moral et spirituel aux arrivants. Laure Abou-Jaoude, enseignante dans une école anglaise, est parfois intervenue pour aider des jeunes Maronites à mieux s’intégrer à l’école.
« J’ai fait en quelque sorte le pont entre les parents, l’enfant et l’école », confie-t-elle durant la petite rencontre sociale qui suit la messe du dimanche matin.
La jeune génération, née au Canada, a développé une relation particulière avec le Liban, différente de celle qu’ont leurs parents. Pendant que les aînés assistent à la messe, les jeunes suivent des cours d’arabe. Même si l’arabe est parlé à la maison, langue décrite comme celle du cœur par les parents, les jeunes apprennent l’arabe littéraire à l’église. Cette maîtrise de la troisième langue se révèle essentielle pour communiquer avec le reste de la famille durant les vacances d’été quand ils se rendent au Liban.
« Chaque famille se rend au Liban au moins une fois tous les trois ou quatre ans », explique Lily Harfouche. Jessica et Andrew confient qu’ils sont revenus enchantés après leur séjour. Ils soulignent la très grande liberté dont ils ont jouissent là-bas par rapport à celle qu’ils connaissent à Toronto. Au Liban, ils peuvent sortir le soir beaucoup plus tard qu’ici.
Au printemps 2012, un groupe d’étudiants décidèrent de former une association de jeunes Libanais. Appelée Lebunity, leur organisation a pour but de rassembler tous les Libanais, peu importe leur religion ou bien leurs opinions politiques.
« Nous voulions faire usage de ce que le Canada nous a appris et de le mettre en œuvre pour montrer combien nous sommes fiers de notre héritage libanais », confie la présidente, Aseel El-Baba.
Lors du dernier attentat politique à Beyrouth, ces jeunes Libanais issus de toutes les confessions se sont réunis pour prier et partager leur peine. Un des buts à long terme de l’organisation est de construire un centre communautaire pour les jeunes Libanais. En lisant la page Facebook du groupe, on ressent que ces jeunes Canadiens d’origine libanaise ont réellement franchi le pont entre l’Orient et l’Occident avec succès.
Photo : L’église maronite sur la rue Queen Ouest à Toronto.